Protéger les populations autochtones du Covid-19

Résultats scientifiques Anthropologie

Afin d’atténuer l’impact du Covid-19 sur les populations les plus démunies, une équipe de responsables tribaux, d’anthropologues, de médecins et de responsables politiques régionaux ont mis en place un plan de prévention et d’endiguement du Covid-19 en Amazonie Bolivienne. Les détails de ce plan ont été publiés dans la revue The Lancet en mai dernier.

La pandémie de Covid-19 est une crise inédite pour tout le monde et peut se transformer en catastrophe humanitaire pour les populations les plus démunies, telles que les peuples autochtones. Le Covid-19 est en train d’aggraver la situation précaire dans laquelle se trouvent aujourd’hui la plupart des populations autochtones, qui vivent souvent dans une pauvreté extrême, et dont l’accès aux soins est limité. Pourtant, les peuples autochtones sont largement exclus de la plupart des plans nationaux ou régionaux visant à prévenir et à freiner la propagation du virus. Au Brésil, par exemple, le nombre de contaminations parmi les populations autochtones amazoniennes augmente de façon foudroyante : cela s’explique en partie par l’indifférence du gouvernement de Jair Bolsonaro.

Pour atténuer l’impact du Covid-19 sur leur territoire, les Tsimanes, une population autochtone de l’Amazonie Bolivienne, ont élaboré un plan en collaboration avec une équipe d’anthropologues, de médecins et de responsables politiques régionaux. Ce plan, dont les détails ont été décrit dans un article publié dans le Lancet, pourrait servir de modèle et être adapté à d’autres populations autochtones afin de minimiser les risques de propagation du coronavirus.

« Nous travaillons dans le domaine de la santé avec les Tsimanes depuis plus de deux décennies. Depuis la mi-mars, nos activités de recherche sont à l’arrêt. Toutefois, face à l’extrême vulnérabilité de la population Tsimane et au manque d’informations et de moyens disponibles sur place, nous ne pouvions pas rester les bras croisés. Nous avons décidé d’agir rapidement avant que le virus ne se propage sur leur territoire », explique Jonathan Stieglitz, professeur d’anthropologie à l'Institut d'Études Avancées de Toulouse1 et co-directeur du Tsimane Health and Life History Project (THLHP).

En plus d’un travail de recherche centré sur le processus de vieillissement, le THLHP fournit des soins de santé primaires et une surveillance biomédicale aux Tsimanes depuis 2002. S’appuyant sur une présence établie dans la région, les chercheurs du THLHP ont entamé une conversation avec les autorités tribales et autres responsables régionaux. Ensemble, ils ont élaboré un plan pour lutter contre le Covid-19, qui comprend deux phases. La première phase consiste à informer les Tsimanes et à les préparer à faire face au Covid-19. La seconde phase comprend des mesures d’endiguement et de gestion des cas positifs, au cas où le virus atteindrait le territoire Tsimane.

« Le Covid-19 peut toucher n’importe qui, sans distinction. Mais les populations autochtones ont un risque bien plus élevé d’en mourir. Parmi ces populations, les maladies respiratoires qui augmentent le risque de complications liées au Covid-19, sont souvent largement répandues. Par exemple, la plupart des patients Tsimanes traités par les médecins du THLHP ont un historique de tuberculose ou de bronchite aiguë, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux complications médicales liées au Covid-19 », affirme le docteur Daniel Eid Rodriguez, un médecin du THLHP.

Pour le professeur Jonathan Stieglitz, lutter contre la propagation du coronavirus, c’est aussi lutter pour la sauvegarde du patrimoine culturel Tsimane, oralement transmis de génération en génération. « Les aînés tribaux courent le risque particulièrement élevé de succomber au Covid-19 en raison de leur âge avancé et de certaines comorbidités. Ils sont essentiels au maintien de la culture et des coutumes tsimanes. Les aînés tribaux sont des ‘bibliothèques ambulantes’, des éducateurs et des modèles qui contribuent de façon importante aux besoins matériels et affectifs de leurs petits-enfants. C’est le cas pour les Tsimanes comme pour d’autres populations autochtones ».

Malgré leur vulnérabilité, les Tsimanes possèdent des atouts importants qui contribuent à leur résilience  : leur autosuffisance alimentaire, une souveraineté tribale sur leur territoire, de l’expérience avec les épidémies et un esprit communautaire soudé. « Les Tsimanes produisent la quasi-totalité de leurs aliments et jouissent de droits fonciers, ce qui permet la mise en œuvre de certains aspects du plan de prévention tels que l’isolement des villages Tsimanes du reste de la Bolivie pendant toute la durée de la pandémie. Pour eux, la crise du Covid-19, c’est aussi du déjà-vu. Comme la plupart des populations amérindiennes, ils ont fait l’expérience d’épidémies exogènes par le passé. Ils ont aussi une tradition de prise de décision collective, ce qui permet d’arriver à un consensus assez facilement et de passer à l’action rapidement sans histoires de polarisation qui compliquent la prise de décision, comme c’est le cas aux États-Unis aujourd’hui », explique le professeur Jonathan Stieglitz.

La mise en œuvre du plan de prévention et d’endiguement du Covid-19 a commencé bien avant que le premier cas positif ne soit répertorié dans le département du Béni, où est situé le territoire Tsimane. Une première phase a consisté à organiser des campagnes d’information et de sensibilisation dans les villages. Les villageois ont construit des barrières pour bloquer l’accès à leur communautés et chaque famille s’est préparée à construire des huttes de quarantaine à proximité du village, pour y isoler d’éventuels malades du Covid-19. L’équipe de terrain du THLHP a également recensé, dans chaque village, les personnes à haut risque telles que les personnes âgées et/ou les personnes souffrant d’autres conditions. Afin de faciliter l’isolement collectif des Tsimanes, l’équipe du THLHP, en collaboration avec les autorités locales, a également distribué des produits de première nécessité pour lesquels les Tsimanes sont dépendants du marché, tels que le savon ou le sel.

Une seconde phase du plan a commencé lorsque les premiers cas de Covid-19 ont été diagnostiqués dans le département du Béni, le 20 avril 2020. « Pour l’instant, il n’y a heureusement aucun cas de Covid-19 sur le territoire Tsimane, ce qui est vraiment rassurant. Grâce à notre travail de recherche, nous disposons d’un recensement presque complet de la population et de données géographiques SIG. Ces données vont nous permettre de faire du contact-tracing et de signaler les cas positifs à la population Tsimane afin qu’ils puissent prendre les dispositions nécessaires. Nous essayons également d’augmenter notre capacité à faire des tests de dépistage rapides. L’hôpital de San Borja étant déjà débordé, plutôt que d’y conduire des patients supplémentaires, nous avons décidé, en commun accord avec la population, de traiter les patients sur place dans les centres de santé se trouvant sur territoire Tsimane. Ces derniers ont été équipé de médicaments, de lunettes nasales, de réservoirs d’oxygène et de concentrateurs d’oxygène », explique le professeur Hillard Kaplan, anthropologue à l’université de Chapman, en Californie, co-directeur du THLHP, et auteur principal de l’article publié dans The Lancet.

« Le but de notre article est d’appeler à l’action les chefs d’États des pays abritant des populations autochtones, les scientifiques, les médecins et autres agents de santé, les missionnaires ainsi que les ONG qui y travaillent. Nous espérons inciter les organisations caritatives ainsi que les citoyens ordinaires à agir avant qu’il ne soit trop tard pour ces populations autochtones, dont la plupart ont déjà été décimées par les épidémies importées par les colons dans le passé », conclut le professeur Kaplan.

  • 1L’IAST est un institut de recherche interdisciplinaire, adossé à la Toulouse School of Economics et à l’unité mixte de recherche TSE-Recherche (UMR5314, CNRS / Inrae / EHESS / Université Toulouse Capitole). Il porte l’ambition de gommer les frontières artificielles entre les disciplines afin de relever les défis du xxie siècle. Il regroupe des chercheurs du monde entier, compétents dans les différentes sciences sociales afin de favoriser un enrichissement mutuel, l’émergence d’idées nouvelles et l’étude de thèmes qui revêtent une importance capitale pour notre société.

Référence

Kaplan H., Trumble B., Stieglitz J., Mendez Mamany R., Gutierrez Cayuba M., Maito Moye L. and al. 2020, Voluntary collective isolation as a best response to COVID-19 for indigenous populations? A case study and protocol from the Bolivian Amazon, The Lancet.

Contact

Jonathan Stieglitz
Professeur d’anthropologie à l'Institut d'Études Avancées de Toulouse