Regard sur le soutien aux revues à l’InSHS : résultats de la campagne 2023-2024

La Lettre Institutionnel

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Pour l’Institut des sciences humaines et sociales (InSHS) du CNRS, la campagne d’attribution de subventions aux revues est une tradition bien ancrée. Organisée par le pôle Science ouverte tous les deux ans, son traitement appelle le concours de l’InSHS, du Comité national de la recherche scientifique (CoNRS), et, depuis la campagne 2020-2021, en support, de la direction des systèmes d’information (DSI) du CNRS.

L’un des enjeux de cette campagne est bien sûr de coordonner les nombreux intervenants de cette chaîne sur plusieurs mois. Cependant, au-delà de ce défi organisationnel, son objectif est de prendre à fréquence régulière le « pouls » de revues dont on cherche à évaluer le caractère structurant dans le champ et à vérifier qu’elles suivent une trajectoire vers le modèle Diamant de l’accès ouvert1 , en adéquation avec les objectifs de Science ouverte du CNRS. Ce moment de collecte et de diagnostic unique en son genre permet d’analyser et de comparer plus d’une centaine de politiques éditoriales en croisant les perspectives scientifiques et d’ingénierie liées à la divulgation de la recherche.

Cette campagne est un temps fort parce qu’elle est un des rares dispositifs hexagonaux récurrents à flécher à fréquence bisannuelle des subventions versées aux périodiques scientifiques. Au CNRS, alors que la Direction des données ouvertes de la recherche (DDOR ; ex-DIST) s’intéresse spécialement au modèle Diamant, l’InSHS est pratiquement le seul parmi les dix Instituts à avoir maintenu ce dispositif historique dans son soutien général à l’édition scientifique et à lui dédier un poste de dépense globalement constant, voire en légère hausse2 . Cette année, 209 000 euros étaient ainsi en jeu.

Si cette campagne est un événement majeur pour l’InSHS, elle semble également rencontrer un écho important côté revues. 158 revues se sont portées candidates3 . La page consacrée à cette campagne est l’une des plus consultées du site Internet de l’InSHS et, pour la toute première édition du webinaire de présentation de sa campagne, le pôle Science ouverte a compté plus de 150 participants.

Cet intérêt réciproque entre l’InSHS et les revues de son périmètre n’est pas le fruit du hasard : l’édition scientifique de sciences humaines et sociales, riche de sa singularité, de sa (biblio)diversité, constitue un « archipel », pour reprendre les termes de Pierre Mounier, qui offre presque autant de modèles et de fonctionnements possibles qu’il existe de revues4 . Ce paysage singulier, caractérisé par ses forts contrastes et, généralement, ses faibles marges commerciales à échelle unitaire, a davantage besoin que dans d’autres disciplines de moyens publics pour assurer une divulgation performante de ses résultats.

Entre autres évolutions, désormais, cette campagne est uniquement dédiée à l’attribution de subventions. Les postes d’ingénieurs et techniciens sont à solliciter par les unités CNRS via la campagne « Dialog » de demandes de moyens annuels. Ces demandes sont d’ailleurs en hausse croissance, avec plus de 70 demandes recensées en 2022 via Dialog contre une cinquantaine en 2021.

Une proportion de plus en plus importante de revues lauréates de cette campagne se voient soutenues par l’InSHS viades subventions et des moyens humains qui tendent à converger depuis deux campagnes. C’est un point d’évolution majeur du dispositif de soutien : en combinant agent et subvention, l’Institut poursuit l’objectif d’« environner » correctement les rédactions de revues pour permettre à ceux qui les dirigent et à ceux qui les réalisent de déléguer ce qui ne relève pas de leur cœur de métier le plus immédiat.

Pour diapasonner cette combinaison de moyens, l’InSHS travaille à l’aide d’une critériologie évolutive. Les critères mobilisés pour la conduite de cette campagne étaient connus à l’avance des revues candidates et affichés sur le site Internet de l’InSHS. Lors de cet exercice, l’InSHS a entendu appliquer plus rigoureusement encore les critères signalés comme obligatoires. En conséquence, et c’est une première, vingt-neuf revues — soit 18 % des dossiers de candidature — ont été écartées pour irrecevabilité avant envoi au CoNRS (Figure 1). Les principaux motifs de ces rejets ont été : une barrière mobile supérieure à un an ; une publication électronique sur un site Internet autonome ; l’absence de mandat limité dans le temps pour la direction de la revue.

Les points majeurs de l’évolution de la critériologie 2023-2024 et l’éligibilité des dépenses liées à ces sommes ont déjà été exposés dans un article de la Lettre de l’InSHS5 . Cette année, le montant plancher a été baissé à 1 000 euros tandis que le montant plafond est resté à 3 000 euros. Comme pour la campagne précédente, les douze revues à barrière mobile lauréates ont été plafonnées entre 1 000 et 1 500 euros. À l’opposé, trois revues se sont vu attribuer la somme de 3 000 euros assortie d’un bonus de 1 000 euros pour tenir compte d’efforts significatifs accomplis pour aller vers l’accès ouvert, immédiat et complet.

Comparativement à la campagne précédente, le nombre de participants de cette itération a diminué : on parle de 158 candidats pour le millésime 2023-2024, contre 203 pour le millésime 2021-2022. Cependant, la proportion relative de lauréats est restée la même : environ deux revues sur trois sont lauréates d’un millésime à l’autre. En effet, sur les 158 revues candidates millésime 2023-2024, 105 sont lauréates. Quant à la somme médiane allouée, elle est en hausse puisque qu’elle est de 2 000 euros, contre 1 500 euros lors de la dernière itération de la campagne. Cette augmentation était un des objectifs visés par l’InSHS pour verser des subventions plus significatives aux revues et contribuer substantiellement à leur fonctionnement.

Outre cette évolution du dispositif général, la liste des résultats appelle quelques commentaires. Pour la première fois, une épirevue hébergée sur Episciences6 fait son entrée dans la liste des revues lauréates. On retiendra en outre que les revues lauréates sont principalement hébergées sur OpenEdition Journals (82 lauréates) ou sur CAIRN (14 lauréates), parfois sur les deux (6 lauréates). Nous observons également de facto que les revues lauréates sont rarement hébergées dans des pépinières de revues7 puisqu’une seule revue se situe dans ce cas de figure. Ce résultat ne surprend pas tout à fait, dans la mesure où l’hébergement sur pépinière correspond à un stade de l’évolution d’une revue où elle n’est pas encore structurante dans son champ ou n’a pas encore atteint le niveau de maturité suffisant au regard des critères de l’InSHS.

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Figure 1 - Campagne InSHS d'attribution de subventions aux revues 2023-2024 : devenir des candidatures
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Figure 2 - Campagne InSHS d'attribution de subventions aux revues 2023-2024 : répartition des lauréates

De manière à respecter les engagements pris par le CNRS en signant la déclaration DORA sur l’évaluation qualitative et intrinsèque de la recherche, il avait été demandé aux sections du CoNRS de rendre des avis scientifiques à propos du caractère structurant des revues dans leur champ. Contrairement à une opinion hélas encore trop répandue, le but de cette campagne n’est pas de dresser un classement des revues par discipline, ni de leur décerner un label ou un blason de scientificité ou de qualité. En pratique, comme pour les années précédentes, les avis des sections du CoNRS ont été favorables ou très favorables dans plus de 80 % des cas, les autres avis étant soit « réservés », soit notés comme « sans avis ». Cela signifie de fait que les avis des sections servent surtout à trier les candidatures présentées et que ce sont les critères de bonne pratique éditoriale et de Science ouverte qui pèsent particulièrement dans les décisions d’attribution des subventions de l’Institut tout au long du processus.

Ce dispositif de soutien aux revues a connu une réorientation graduelle au fil du temps, qui s’est accentuée depuis l’adoption de la feuille de route Science ouverte du CNRS en 2018. En mars 2022, le CNRS a signé de surcroît le plan européen de soutien au modèle Diamant de la CoAlition S.

L’évolution progressive des critères obligatoires explique pourquoi les revues en libre accès immédiat sont désormais nettement majoritaires : 89 % des lauréats de cette campagne-ci s’inscrivent dans le modèle Diamant de l’accès ouvert (Figure 2). Selon toute vraisemblance, ces orientations seront reconduites, et sans doute encore renforcées, dans le cadre de la prochaine campagne qui aura lieu en 2024 pour le millésime 2025-2026.

Parfois, les revues lauréates de cette campagne bénéficient aussi de moyens financiers tiers, qu’il s’agisse d’autres sources de financement du CNRS ou d’autres dispositifs de soutien à l’ouverture impulsés depuis le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR ; appels à projets du Fonds national pour la Science ouverte). Les moyens dont dispose l’InSHS en matière de soutien à l’édition ne se limitent plus à ceux de sa campagne bisannuelle. Depuis deux ans, l’Institut reçoit également de la DDOR une somme tirée des économies réalisées par le CNRS suite à l’annulation des abonnements Springer. Ces crédits supplémentaires sont alloués par l’InSHS au modèle Diamant et ont représenté 130 000 euros en 2022 et 185 000 euros en 2023.

Il faut également souligner que le MESR a mis en place un dispositif de soutien pour faciliter la levée des barrières mobiles sur CAIRN et sur OpenEdition, dont certaines revues lauréates ont bénéficié. Ce mécanisme, qui permet aux revues de passer à l’accès ouvert immédiat sans avoir à changer de plateforme de diffusion ou d’éditeur, en conservant l’essentiel de leurs revenus, est intéressant, car il pourrait à terme transformer le modèle traditionnel de l’abonnement en un modèle de souscription (Subscribe-To-Open) plus compatible avec les objectifs de la Science ouverte. L’InSHS sera très attentif à la mise en œuvre de ce dispositif et encourage les directions de revues à prendre connaissance de ses modalités8 .

 

Lionel Maurel et Astrid Aschehoug, InSHS

  • 1Modèle où ni l’auteur, ni le lecteur ne payent pour publier ou lire.
  • 2209 000 euros en jeu pour ce millésime contre 206 000 euros lors du précédent.
  • 3Campagne 2014-2015 : 220 revues candidates ; campagne 2016-2017 : 196 revues candidates ; campagne 2018-2019 (prolongée en 2020) : 171 revues candidates ; campagne 2020-2021 : 203 revues candidates.
  • 4Voir à ce sujet l’enquête de la Coalition S : 10.5281/zenodo.4558704.
  • 5Maurel L., Aschehoug A. 2022, Lancement de la campagne de subventions aux revues 2023-2024, Lettre de l’InSHS n° 78 : 3-4.
  • 6Plateforme d’hébergement d'épirevues scientifiques en libre accès développée et administrée par le Centre pour la communication scientifique directe (CCSD, UAR3668, CNRS / Inrae / Inria). https://www.ccsd.cnrs.fr
  • 7Le terme « pépinière de revue » désigne un service local d’hébergement et d’accompagnement.
  • 8Pour OpenEdition : https://leo.hypotheses.org/18974 ; pour CAIRN : https://actualites.cairn.info/cairn-info-annonce-son-dispositif-science-ouverte-2022-2027/.

Contact

Astrid Aschehoug
Chargée de la politique de soutien aux revues scientifiques et données de recherche