SOCLIMPACT : renforcer les interfaces entre science et politique dans la lutte contre le changement climatique. Le cas des Antilles françaises

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Coordonné par l’Université de Las Palmas de Gran Canaria, à travers son Institut universitaire du tourisme et du développement économique durable (Tides) avec un consortium de vingt-quatre partenaires, le projet SOCLIMPACT a pour objectif de renforcer les interfaces entre science et politique dans la lutte contre le changement climatique sur les îles européennes. Par l’intermédiaire du Laboratoire de Recherche en Géosciences et Énergies (LARGE) pour la modélisation climatique et les mesures physiques et le Laboratoire Caribéen de Sciences Sociales (LC2S, CNRS / Université des Antilles) pour la dimension socio-économique, l’Université des Antilles est partenaire du projet aux Antilles françaises. Le projet SOCLIMPACT a été financé par la Commission européenne dans le cadre du programme Horizon 2020.

Le changement climatique ne fait aujourd’hui aucun doute et ses effets continuent de s’accentuer. Les îles européennes sont des territoires singuliers, particulièrement vulnérables. Elles appartiennent à l'Union européenne avec, pour certaines d’entre elles, le statut de régions ultrapériphériques et de hotspots de la biodiversité mondiale. Leurs écosystèmes se sont développés en isolement, loin des continents, ce qui a entraîné le développement de nouvelles espèces adaptées aux contraintes uniques de la vie insulaire. Chaque île a un climat et une géographie distincts, ce qui se traduit par une faune et une flore adaptées. Cependant, le changement climatique participe au déclin progressif de cette biodiversité extraordinairement riche. En outre, l'océan qui les entoure est d'une importance cruciale, car les eaux océaniques absorbent de grandes quantités de CO2, ce qui contribue à atténuer le réchauffement climatique d'origine humaine, mais provoque une acidification des océans ayant ainsi des effets dramatiques sur les espèces calcifiantes. Les effets du changement climatique sur les principaux organismes et écosystèmes marins et côtiers sont déjà détectables, et plusieurs d'entre eux seront confrontés à un risque élevé d'impacts bien avant 2100, y compris dans le cadre du scénario de faibles émissions.

D’un point de vue économique, le tourisme est un secteur majeur en Europe, et les îles européennes dépendent fortement des flux de touristes étrangers pour renforcer et développer leurs économies. Les îles Canaries, la plus importante région touristique d’Europe, pourraient devenir un lieu ardent pour les citoyens de l’Union européenne (UE) voyageant à l’étranger. En outre, le tourisme n’est pas la seule industrie des zones côtières qui serait touchée. L’aquaculture sera affectée par l’augmentation de la température de la mer. De même, l’élévation du niveau de la mer nuira à l’industrie des transports alors que les ports maritimes de ces zones jouent également un rôle crucial dans l’économie européenne : ils font office de plaques tournantes pour la grande majorité des marchandises transportées dans le monde. Ainsi, alors que le développement social et économique de l’Europe est étroitement lié à ses mers et océans, les informations et connaissances scientifiques sur les impacts économiques du changement climatique dans des secteurs côtiers et maritimes spécifiques sont rares, et les modèles économiques actuels ne prennent pas en compte les caractéristiques non marchandes, ne fournissant qu’une vision partielle.

Le projet SOCLIMPACT vise à modéliser les effets du changement climatique à échelle réduite et leurs impacts socio-économiques dans les îles et archipels européens pour 2030-2100 dans le contexte de l’économie bleue de l’UE, à évaluer les voies d’adaptation correspondantes, complétant ainsi les projections actuellement disponibles pour l’Europe et alimentant les modèles économiques réels avec une évaluation non marchande. Plus précisément, douze îles et régions ultrapériphériques européennes sont analysées sur la base d’études de cas : les Antilles françaises (Martinique et Guadeloupe), les Açores (Ilha do Faial, Ilha de Sao Miguel e Ilha do Pico), les Baléares (Majorque), les îles de la Baltique (Fehmarn), les Canaries (Grande Canarie), la Crète, Chypre, Madère, Malte et la Sicile.

Les travaux de recherche dans chaque île ont été menés selon la séquence suivante :

  • Projections à échelle réduite des risques climatiques (élévation du niveau de la mer, inondations, perte de plages, évolution des herbiers marins, risques d’incendie, températures extrêmes, épidémies de maladies infectieuses, température de l’eau, entre autres). Les modèles climatiques ont été exécutés pour deux scénarios RCP2.6 (scénario à faibles émissions) et RCP8.5 (scénario à fortes émissions) et pour différents horizons temporels, à savoir : une période de référence (1965-2005), le milieu du siècle (2046- 2065) et la fin du siècle (2081-2100). Dans le cas de la Martinique et de la Guadeloupe, l’accent a été porté sur l’érosion des plages, l’élévation du niveau de la mer et les inondations.
  • Les impacts économiques potentiels sur quatre secteurs de l’économie bleue, en tenant compte des dangers et des risques spécifiques. Différentes méthodologies ont été utilisées pour chaque secteur, y compris l’évaluation non commerciale des politiques d’adaptation. Pour les Antilles françaises, le secteur du tourisme a été privilégié.
  • Les implications sur le système socio-économiques des îles par l’application de l’équilibre général. Les changements de la température moyenne, du niveau de la mer et des taux de précipitation ont été utilisés comme intrants pour évaluer les effets sur quatorze secteurs d’activité économique, le PIB, la consommation, les investissements et l’emploi.
  • Co-analyser et classer, avec les acteurs régionaux, les voies d’adaptation alternatives pour les îles, en tenant compte de leurs conditions géographiques et socio-économiques, et du futur scénario de changement climatique pour chacune d’elles, ainsi que des limites et des obstacles spécifiques qui entravent leur possibilité d’être des territoires plus résilients, s’agissant notamment du secteur du tourisme pour la Martinique et la Guadeloupe.

Dans le cas des Antilles françaises, le projet SOCLIMPACT propose des résultats sur les caractéristiques du climat et les risques qui y sont associés, sur les réactions des touristes face au changement climatique1 et sur la manière dont celui-ci affecte les décisions de voyage des citoyens européens ; il présente également une série de projections à plus ou moins long terme sur les risques liés aux secteurs du tourisme et du transport maritime.

Pour produire des projections précises et adaptées du changement climatique dans le contexte des îles, en tenant compte de la relation entre les scénarios de changement climatique, les impacts biophysiques et les spécificités de chaque île, le projet a adopté un processus participatif impliquant douze acteurs et universitaires des îles. Il s’est également appuyé sur la base de données Med-Cortex pour réaliser des simulations à haute résolution des vagues et des ondes dans l’océan Atlantique. Enfin, les estimations des impacts du changement climatique sur les systèmes économiques des îles ont été effectuées en combinant les liens structurels et fonctionnels entre les îles et le reste de l’UE avec une nouvelle combinaison de deux modèles d’équilibre général.

Après 40 mois de travail intensif, le projet SOCLIMPACT est sur le point d’être finalisé. Les efforts actuels sont consacrés à la diffusion et à l’engagement des décideurs politiques dans l’utilisation des connaissances. À cet égard, le projet a lancé le Système d’échange d’informations régionales REIS, plateforme ouverte et multidisciplinaire dans laquelle les parties prenantes — l’industrie, les décideurs politiques, les dirigeants et les praticiens du niveau local au niveau national — peuvent interagir, proposer de nouvelles idées de travail en collaboration, ainsi que des activités avec les communautés scientifiques engagées dans l’étude des impacts climatiques et des stratégies de gestion des risques des secteurs de l’économie bleue dans les îles. Grâce à son panel d’experts, la plateforme est ouverte pour fournir des solutions en soutien à la gestion de la résilience face au changement climatique dans les îles et les régions ultrapériphériques de l’UE, et pour les principales actions et méthodologies de recherche sur le changement climatique dans les zones côtières de l’Union européenne et au-delà. De ce fait, la plateforme REIS offre donc une occasion unique pour toutes les îles et les zones côtières de discuter de manière intensive, et d’établir une référence pour l’adaptation et la croissance bleue.

Enfin, le « Premier sommet européen des îles sur le changement climatique » a eu lieu le 23 mars dernier. Universitaires, représentants de haut niveau des îles et des régions ultrapériphériques de l’UE et membres de la Commission européenne s’y sont rassemblés pour analyser les avantages connexes et les voies d’adaptation à long terme qui permettront de construire des archipels plus résilients.

  • 1Voir aussi : https://www.youtube.com/watch?v=vpzGHuhOyGw

Contact

Jean-Raphaël Gros-Desormeaux
Chercheur CNRS, directeur adjoint du Laboratoire Caribéen de Sciences Sociales (LC2S)
Justin Daniel
Professeur de science politique, directeur du Laboratoire Caribéen de Sciences Sociales (LC2S)