Trois questions à Françoise Foucault, Laurent Pellé et Éliane de Latour, sur le Festival Jean Rouch

Lettre de l'InSHS Anthropologie

Fondé en 1982 par le cinéaste et ethnologue Jean Rouch, le Festival international Jean Rouch est l’une des plus importantes manifestations européennes de cinéma documentaire lié aux sciences humaines et sociales, toutes disciplines confondues. Il présente chaque année à Paris plus de soixante-dix films documentaires programmés en compétition internationale ou en séances thématiques. Cette manifestation, soutenue par le CNRS, l’IRD, l’Inalco, le ministère de la Culture, le CNC et la Société française d’ethnomusicologie, est une action financée par la Région Île-de-France. À l’occasion des quarante ans du Festival, Françoise Foucault, assistante de Jean Rouch et cofondatrice du Bilan du film ethnographique, Laurent Pellé, délégué général du Festival international Jean Rouch, et Éliane de Latour, présidente du Comité du film ethnographique, directrice de recherche émérite au CNRS, anthropologue et cinéaste, reviennent sur la mission du Festival et présentent ses principales évolutions. La pérennité et la qualité de ce festival lui valent d’être lauréat de la première édition de la médaille de la médiation scientifique remise par le CNRS.

Pouvez-vous rappeler ce qu’est le Festival international Jean Rouch, sa genèse, ses objectifs, nous indiquer qui peut postuler et quel est le public cible ?

Françoise Foucault – Pour commencer, je tiens à rappeler qu’à sa création en 1982, le Festival avait pour nom le Bilan du film ethnographique et qu’à partir de 2008, en l’honneur de son fondateur, il deviendra le Festival international Jean Rouch.

Lorsque Jean Rouch m’annonça son intention de créer un festival de films ethnographiques dans le prolongement de celui du Cinéma du Réel au Centre Pompidou, je ne fus pas du tout enthousiaste. J’étais persuadée que nous courions à l’échec. Les trois jours de la première édition du Bilan me prouvèrent le contraire. Les chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales, les étudiant(e)s et un public varié avaient répondu présents en grand nombre, et je dus reconnaître que l’intuition de Jean Rouch était juste. Il avait donc atteint son ambitieux objectif en dédiant entièrement, sous la forme d’un bilan annuel non compétitif, le Festival aux films réalisés récemment par des chercheurs, chercheuses et des étudiant(e)s, français et étrangers, en ethnologie, sans pour autant s’interdire ceux de cinéastes non scientifiques. Cette réussite nous la devions aussi au soutien de Jean-Michel Arnold, directeur du CNRS Audiovisuel, à la participation de l’ethnologue Germaine Dieterlen et de l’anthropologue et cinéaste Marc Henri Piault, tous deux au CNRS, qui ont tous cru dès le début à cette aventure. À partir de 1983, la programmation accueillera une compétition internationale et se diversifiera au fur et à mesure en organisant rétrospectives, cartes blanches, master classes et journées d’études. De fait, la durée du Festival passa de trois jours à une vingtaine actuellement. Quant à la sélection des films en compétition, son évolution a été considérable. En trente-huit ans, les thèmes de recherche des films se sont beaucoup diversifiés, les écritures cinématographiques se sont transformées, moins linéaires et plus singulières voire expérimentales, les procédures d’investigation sont devenues plus personnelles et plus engagées, les réalisations plus collaboratives, les moyens de productions plus exigeants. La sélection devait impérativement en tenir compte pour s’adapter et s’enrichir, tout en restant fidèle à Jean Rouch pour qui le Festival se devait d’être « Le rendez-vous permanent des Sciences de l’Homme et de l’Art cinématographique ».

En parallèle de la compétition internationale, le Festival développe des initiatives particulières, comme c’est le cas par exemple avec la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Laurent Pellé – Comme toutes les programmations hors les murs du Festival, celle organisée, depuis huit ans, à Fleury-Mérogis est une initiative conjointe menée avec l’association Ethnoart. L’objectif est de faire découvrir aux détenus les films documentaires anthropologiques que nous projetons en compétition internationale. Les séances ont lieu tous les deux mois et se concluent toutes par un moment de médiation où sont partagés savoirs cinématographiques et scientifiques en présence de la réalisatrice ou du réalisateur et parfois d’une ou d’un anthropologue. Afin d’impliquer d’avantage les détenus au Festival et plus particulièrement à la compétition, nous avons créé, en 2016, en collaboration avec l’administration pénitentiaire, un jury pour attribuer le prix Fleury doc. La remise de ce dernier au musée est l’occasion d’une sortie exceptionnelle pour chacun des participants.
L’organisation des hors les murs s’est imposée au Festival en 2011, année de transformation et de développement des programmations. Par expérience, nous savons que les films que nous projetons connaissent une diffusion restreinte, encore plus pour ceux de l’étranger. Alors, avec la collaboration de chercheurs, comme Boris Pétric, directeur de recherche au CNRS, d’anciens stagiaires et de membres du Comité du film ethnographique, nous avons monté des partenariats avec des musées, des universités, des salles de cinéma d’art et d’essai, des médiathèques et des centres culturels, en province et à l’étranger. Actuellement, une quinzaine de lieux participent, tout au long de l’année, aux hors les murs.

Les spectateurs sont très différents d’une salle à l’autre ; ils peuvent être lycéens d’un centre de formation d'apprentis (CFA) agricole, visiteurs de musée, membres d’une association culturelle d’immigrés, retraités d’un EPHAD, étudiants en ethnologie et bien d’autres encore. Hormis les films de la compétition internationale, selon le souhait des hôtes qui nous accueillent, la programmation peut proposer des master classes et des projections thématiques. Par exemple, en 2019, à l’université de Strasbourg ont été organisées des projections dédiées aux films ethnologiques des années 1950 et 1960, produits par le CNRS. Aujourd’hui, les hors les murs représentent une part importante des activités du Festival et connaissent un succès bien au-delà de nos espérances.

Le Festival fête cette année ses quarante ans et se redéfinit. Pouvez-vous nous dire quelles seront les nouveautés et nous présenter la prochaine édition ?

Éliane de Latour – Depuis mars 2021, le Festival est hébergé par le Musée du quai Branly – Jacques Chirac avec lequel il noue un partenariat ambitieux. Nous profitons de ce tournant pour changer la date de la manifestation qui passe de novembre à mai. L’année 2021, passerelle entre les temps, sera consacrée à l’anniversaire des quarante ans du Festival avec des rétrospectives.

L’année 2022 est la « Première » du Festival New-look avec une ligne éditoriale renouvelée qui s’ouvre à toutes les disciplines au-delà de l’anthropologie. Nous accueillons désormais les écritures cinématographiques les plus variées, qu’il s’agisse de fictions, d’expériences numériques, d’œuvres sonores.

Nous tenons à prendre part aux grands débats sur la question climatique et sociale qui lui est directement liée. Non pas en devenant un autre « festival d’écologie » mais en se centrant sur la réflexion des sciences humaines avec les figures charismatiques de Bruno Latour ou de Philippe Descola, mais aussi au-delà, en travaillant l’apport unique des sciences humaines sur les grandes scènes des mondes qui correspond au positionnement générique du Festival.

La possibilité qui nous est nouvellement offerte de projeter des films dans trois salles, tout en gardant celle du Muséum, nous permet de multiplier des sections thématiques en parallèle de la Compétition : « Destin de Gaïa » ; « Expériences de terrains » ; « Jeune recherche-création », « Documentaires sonores », « Grandes rétrospectives ».

Seront aussi proposées des Rencontres-Débats comme « Objets matériels ou immatériels, un chercheur, un film vecteur de l‘objet », des « Soirées-conférences » à la Maison Suger autour d’un penseur du monde international.
À travers l’ensemble de ces nouvelles activités et des anciennes que nous maintenons (masters classes, publics scolaires, ateliers), nous toucherons des publics plus larges, notamment les jeunes générations qui participeront directement au Festival : programmation élaborée par des doctorants boursiers, constitution d’un nouveau jury lycéens avec la remise du prix Nanook jeune, plateforme média prise en charge par des lycéens de filière professionnelle relativement privés d’accès à la culture.

Le Festival International Jean Rouch doit être un rendez-vous international majeur réunissant  les chercheurs en sciences humaines, le monde du cinéma, et les publics de tout âge, tout horizon.

Contact

Laurent Pellé
Délégué général du Festival international Jean Rouch