Un nouvel outil d’évaluation de la maturité des projets en sciences humaines et sociales : l’échelle Societal Readiness Level

La Lettre Innovation

#VALORISATION

En sciences humaines et sociales, certains projets reposent certes entièrement ou partiellement sur la technologie mais beaucoup concernent l’impact d’usage ou sociétal. Comment mesurer la maturité d’un projet relevant d’une innovation sociale ? Comment évaluer un projet répondant à des besoins et problématiques aussi variés que le vieillissement, la petite enfance, le logement, la santé, la mobilité, la citoyenneté, l’éducation, la lutte contre la pauvreté, l’exclusion, le développement durable ?

Genèse de la SRL (Societal Readiness Level)

L’échelle SRL en est l’outil idéal. Elle s’inspire de l’échelle TRL (Technology Readiness Level)1 , initialement développée par la NASA dans les années 1970 et désormais utilisée dans les entreprises et les organismes publics pour financer la R&D. Comme pour l’échelle TRL, elle peut être utilisée dans le cadre de l’accompagnement et du financement de projets innovants culturels ou sociétaux, qu’ils soient publics ou privés (pour les appels à projets, les programmes de prématuration et de maturation, etc.). L’échelle SRL s’inscrit dans une démarche qui vise à renouveler la vision purement technologique de l’innovation, souvent tournée vers des impératifs de marché. Elle permettra de promouvoir un nouveau dialogue entre la recherche et la société, en positionnant la science face à sa contribution réelle au progrès de la société et en se détachant de la logique commune de soutien au marché.

La première échelle SRL a été élaborée par la Danish Innovation Fund au cours des années 2010. Elle a ensuite été retravaillée, enrichie et développée au sein du Laboratoire commun ANR DESTINS2 qui regroupe des chercheurs et enseignants-chercheurs de la Maison des Sciences de l’Homme et de la Société de Poitiers (UAR3565, CNRS / Université de Poitiers) ainsi que des associés et salariés de la société coopérative de production (SCOP) Ellyx, née en 2013. Le pôle innovation, valorisation et partenariats industriels de l’InSHS a fortement contribué à l’enrichissement de l’échelle, en sélectionnant des chercheurs et ingénieurs-témoins ainsi que des projets sur lesquels appliquer la SRL.

L’échelle SRL se veut un outil méthodologique facilement compréhensible et utilisable non seulement par les porteurs de projets et chargés d’accompagnement, mais aussi par les professionnels de l’innovation, afin de mieux orienter la valorisation et le transfert des résultats de leur recherche. Les financeurs et évaluateurs de projets se saisiront de cette échelle pour positionner au mieux le degré de maturité de l’innovation et proposer les partenaires ou les dispositifs de financement adéquats pour accompagner l’évolution du projet.

L’échelle SRL dans le détail

L’échelle SRL ne se substitue ni ne s’oppose à la TRL ou à tout autre type de grille d’évaluation (comme la Business Readiness Level, par exemple) mais peut être utilisée seule ou en complémentarité avec une ou plusieurs de ces autres échelles, en fonction du projet et des finalités visées. L’orientation de l’innovation sera sociétale, environnementale ou culturelle (par exemple) et la valeur économique ne sera pas centrale dans le projet.

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Source : Technological Readiness Level développée par la Nasa
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Societal Readiness Level CC Ellyx

La dernière année d’activité du Laboratoire commun ANR DESTINS a été l’occasion de tester l’échelle SRL sur une trentaine de projets de recherche et valorisation issus des laboratoires de l’InSHS et du Réseau national des Maisons des Sciences de l’Homme (RnMSH), ainsi que sur des projets d’économie sociale et solidaire (ESS) accompagnés par différents incubateurs nationaux et régionaux. Cette expérimentation a permis de développer chaque niveau de l’échelle afin de le rendre le plus flexible et pertinent possible dans l’évaluation de projets à impact sur la société, correspondant au neuvième niveau sur l’échelle SRL.

Un retour d’expériences au-delà des SHS

Les projets émergeant des laboratoires de sciences humaines et sociales ne seront pas les seuls bénéficiaires de la mise à disposition de l’échelle SRL. Toutes les disciplines peuvent être concernées par l’utilisation de cet outil et les instituts du CNRS, entre autres, commencent à se saisir de cette nouvelle grille de lecture pour évaluer des projets qui, jusqu’à présent, n’arrivaient pas à se positionner sur une échelle TRL en vue d’un financement de prématuration et maturation. Trois collègues du CNRS s’expriment sur leur compréhension de l’échelle SRL et sur l’intérêt qu’elle représente pour leur discipline :

« La recherche en mathématiques est souvent située très bas sur l’échelle TRL, et donc pas immédiatement valorisable en termes de technologie. En revanche, nombre de méthodes, de modèles prédictifs, de briques logicielles, souvent développés en interaction avec d’autres disciplines, peuvent avoir un impact direct sur l’évaluation des risques environnementaux, une politique locale d’aide à la décision, l’évaluation de comportements vertueux dans les transports… L’échelle SRL est une belle opportunité pour guider et soutenir ces projets de recherche dans leur volonté de transfert vers la société, souvent très éloignée de la valorisation industrielle ». François James, directeur adjoint scientifique de l'Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (INSMI) du CNRS.

« L’échelle SRL permettra à l’INSU d’évaluer la maturité et la création de valeur globale des innovations sociotechniques de ses équipes de recherche — actions de médiation scientifique, développement de services destinés à la société… — au-delà de leur simple valeur économique. Son utilisation favorisera le développement de recherches interdisciplinaires en rapport avec les grands défis sociétaux, prenant en compte la diversité des parties-prenantes et s’appuyant sur des analyses systémiques et multidimensionnelles ». Laurent Jammes, directeur des relations industrielles de l’Institut national des sciences de l’univers (INSU) du CNRS.

« Chercher des solutions d’adaptation au changement global requiert une approche systémique et l'utilisation d'une échelle Societal Readiness Level s’avère être un outil essentiel. En utilisant la SRL, les chercheurs et chercheuses en écologie et environnement peuvent s'assurer que leurs travaux répondent aux besoins de la société, alignés sur les politiques publiques et contribuent à des solutions durables pour les défis environnementaux. Ces nouveaux critères tels que les impacts environnementaux et les impacts sociétaux doivent être pris en compte au même titre que les impacts économiques en vue de financement en pré-maturation ». Clarisse Toitot, responsable du pôle innovation, valorisation et partenariats industriels de l’Institut écologie et environnement (INEE) du CNRS.

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Démonstration de la planeterrella, un simulateur d’aurores polaires inventé par l’astrophysicien Jean Lilensten (Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble - IPAG) © David Bernard (IPAG)

Une échelle parfaitement adaptée aux projets interdisciplinaires et aux consortia complexes

Un autre immense atout de l’échelle SRL repose sur le fait qu’elle permet de réunir différents acteurs de la société, parties prenantes  à divers titres dans le monde socio-économique. Les financements peuvent en effet provenir de sources publiques ou privées et ainsi se combiner en agrégeant des associations, des collectivités territoriales, des fondations, des acteurs bancaires, des institutions publiques, etc.

Afin d’accompagner au mieux les projets d’innovation sociale, il s’avère nécessaire de repenser les modalités et l’organisation de l’écosystème d’accompagnement et de financement de l’innovation, qui sont encore actuellement dominés par une perception techniciste et entrepreneuriale.

Il s’agira de replacer l’écosystème d’innovation autour de la notion de bien commun et de garantir le maintien d’un lien de confiance avec la société à toutes les phases de prématuration et maturation du projet. Les échanges de connaissances entre les scientifiques et les autres acteurs impliqués dans les processus du projet (acteurs de la société civile, financeurs institutionnels, etc.) font partie intégrante de la structuration du projet avec l’échelle SRL. Cette intégration horizontale de tous les acteurs prenant part au projet ou étant ciblés par celui-ci est d’autant plus marquée lorsqu’il est question de changements de normes de la société, guidés par des impératifs d’intérêt général.

Le déploiement de l’échelle SRL soulève un enjeu d’acculturation auquel le CNRS est en train de répondre avec une offre de formation qui sera proposée au catalogue de CNRS Formation Entreprise (CFE) dès novembre 2023. Une seconde session de formation a également été programmée en mars 2024.

L’innovation sociale implique la plupart du temps une évolution des politiques publiques, une modification du modèle économique et organisationnel et constitue une nouvelle proposition dans la manière d’aborder des problématiques de société ou d’y répondre. Il apparaît donc nécessaire de disposer d’un outil comme l’échelle SRL pour permettre aux projets d’innovation à forte implication sociale, environnementale ou autre d’exister et de se structurer dans l’écosystème d’innovation selon des spécificités qui sortent de l’aspect principalement axé vers l’innovation technologique d’un projet.

Le CNRS ayant notamment pour mission « le développement d'une capacité d'expertise et d'appui aux associations et fondations, reconnues d'utilité publique, et aux politiques publiques menées pour répondre aux défis sociétaux, aux besoins sociaux, économiques et du développement durable »3 , il n’apparaissait pas incongru que celui-ci — par la voix de Jean-Luc Moullet, directeur général délégué à l’innovation au CNRS — soutienne désormais l’usage de l’échelle SRL. Une fois encore, le CNRS innove sur la méthode, l’outil, le domaine, en permettant l’expérimentation et, nous l’espérons, le déploiement de l’échelle SRL dans le cadre de l’accompagnement et du financement de projets issus des laboratoires InSHS et au-delà !

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Bouton d’arrêt d’enregistrement de l'appartement-observatoire connecté Human at home project (HUT) © Cyril FRESILLON / Projet HUT / CNRS Images

 

  • 1L’échelle TRL vise à évaluer sur une grille allant de 1 à 9 (stade le plus élevé) le niveau de maturité technologique d’un projet.
  • 2DESTINS : Dynamique des Entreprises, de la Société et des Territoires vers l’INnovation Sociale.
  • 3Article L. 112-1 du code de la recherche, modifié par la loi n°2013-660 du 22 juillet 2013.

Contact

Pôle Innovation, valorisation et partenariats industriels InSHS
inshs.innovation@cnrs.fr