Un observatoire des usages pour mieux connaître les pratiques du lectorat d’OpenEdition

Humanités numériques

Le projet de recherche « Observatoire des usages » s’inscrit dans le cadre de l’Equipex+ COMMONS. Son objectif est de documenter les pratiques de navigation sur les plateformes d’OpenEdition afin de mieux comprendre les usages du lectorat et de fluidifier l’accès aux ressources. Nos collègues d’OpenEdition Lab, Simon Dumas Primbault, chaire de professeur junior CNRS de science ouverte en SHS et responsable du Lab, Ioanna Faïta, doctorante en sciences de l’information et de la communication, et Mohsine Aabid, doctorant en informatique, rappellent les spécificités du projet et font le point sur les premières données récoltées.

  • L’Observatoire des usages fait partie du premier axe de recherche du Lab qui a pour but de documenter les usagers des plateformes de science ouverte et leurs pratiques informationnelles. Comment ce projet est-il mis en œuvre et que peut-il apporter à la communauté utilisatrice d’OpenEdition et plus largement d’Huma-Num et Métopes, les deux autres infrastructures impliquées dans COMMONS ?

S.D.P. En 2020, au moment de la rédaction du projet COMMONS pour la candidature à l’Équipex+ [Ndlr : S.D.P. n’était pas à OpenEdition à cette époque], l’Observatoire des usages a été pensé comme un outil permettant de guider le développement technique du consortium en identifiant les besoins de ses publics cibles (« target groups ») afin d’assurer à ceux-ci une expérience fluide (« seamless experience »), notamment dans le passage d’une infrastructure à l’autre. Il y a donc d’abord un attendu très opérationnel, du ressort d’une mission d’ingénierie (UX/UI). D’autre part, dans la suite des projets Appropriation des savoirs ouverts et Umberto, ce projet prévoit que l’observatoire soit constitué de deux doctorant·e·s dans le cadre d’OE Lab – qui est un groupe de recherche. Il y a donc également un attendu plus réflexif et critique qui fait tout le sel d’un travail de recherche1 : donner toute leur épaisseur anthropologique aux usages, comprendre les dynamiques d’un régime de science ouverte, problématiser la notion de données, etc.

La difficulté de la démarche de Ioanna et Mohsine réside donc dans la nécessité de négocier cette ligne de crête entre le versant opérationnel et le versant réflexif de l’observatoire. Sur le premier versant, afin que des travaux de recherche deviennent opérants, il faudra pouvoir compter sur des intermédiaires supplémentaires (notamment dans la collaboration avec les autres services de l’unité, ou bien le recours à des prestataires) qui permettront de traduire concrètement des résultats obtenus dans un cadre doctoral – cela pourra aller d’un simple changement de position d’un bouton dans l’interface jusqu’au prototypage d’outils de navigation dédiés.

Côté réflexif, les apports futurs des travaux de Ioanna et Mohsine sont multiples et nombreux. Sur le plan méthodologique d’abord, l’usage détourné de traces numériques grâce à des méthodes computationnelles couplé à une approche qualitative faite d’observations et d’entretiens permettra de développer de nouveaux outils interdisciplinaires pour essayer de mieux cerner cette chose complexe que sont les usages informationnels, en particulier en contexte numérique (voir ci-dessous).

Sur le plan socio-technique ensuite, le travail sur et au sein d’une infrastructure comme OpenEdition, et plus largement d’un consortium comme COMMONS, permet de se placer au lieu de l’articulation entre normes et pratiques, entre politiques et usages, entre institutions et communautés, là précisément où se négocie ce qu’est la science ouverte et comment elle façonne tant les pratiques scientifiques que les rapports entre science et société. De ce point de vue, l’observatoire des usages permettra de tirer des enseignements précieux sur ce que devrait être une infrastructure de science ouverte, sa gouvernance, sa place au sein d’un écosystème plus large dont elle dépend et qui dépend d’elle.

 

  • Quel est le principe de l’approche computationnelle des parcours utilisateurs ?

M.A. L’approche computationnelle des parcours utilisateurs vise à utiliser des méthodes et des outils informatiques pour modéliser et analyser les parcours des utilisateurs de plateformes lors de leurs interactions avec des produits ou services web. Ce principe repose sur la collecte de données produites lorsqu’un ordinateur dit « client » (utilisateur) fait une requête (demande une ressource) à un serveur, lesquelles sont ensuite sauvegardées dans un fichier afin d’être analysées plus tard. L’objectif de mon étude est de documenter les pratiques des utilisateurs dans les plateformes d’OpenEdition. Une des facettes de cette étude consiste à retracer leurs parcours et à essayer de comprendre leurs choix, ainsi que ce qui les a conduits à suivre un parcours plutôt qu’un autre. Cela permettrait de proposer des outils de navigation à nos utilisateurs et de fournir des résultats plus pertinents lors des sessions de navigation.

 

  • Que révèle cette première analyse ?

M.A. Il n’y a pas de résultats définitifs pour l’instant. La cartographie offre un aperçu de la répartition des sites selon les utilisateurs, mais elle reste instable, et nous travaillons encore à l’améliorer. L’analyse des parcours révèle pour l’instant l’existence de quatre profils de navigation, mais une interprétation plus approfondie de ces profils est nécessaire. Sur le plan méthodologique, cette analyse nous a permis d’en apprendre davantage sur les techniques de traitement des données, le processus de segmentation des sessions utilisateurs, ainsi que le nettoyage des logs. Pour obtenir des résultats concrets, nous testerons notre approche sur un jeu de données plus large.

 

  • Quels sont les objectifs de la première étude exploratoire et en quoi consiste-t-elle ? Peut-on d’ores et déjà faire un premier bilan ?

I.F. Une première étude exploratoire à deux volets, quantitatif et qualitatif, a démarré en mars. Cette étude mobilise les lectures que j’ai pu effectuer pendant la première année de thèse et vise à mettre en application une méthodologie qui sera à suivre, en l’ajustant bien sûr, par la suite. Nous venons tout juste de terminer le premier volet quantitatif. L’étude s’organise autour d’un seul protocole d’enquête qui s’applique aux trois cas du terrain : deux revues et une maison d’édition (plus précisément trois collections) qui ont subi un changement de modalité d’accès. C’est un terrain circonscrit car l’objectif des prochaines années sera de monter en échelle en observant et en documentant la totalité des sites hébergés sur OpenEdition.

Ce protocole d’enquête consiste en un questionnaire sous forme de Framaform, logiciel libre et accessible en ligne. J’ai réussi à concevoir un seul et même formulaire pour les trois cas, après avoir consulté individuellement les équipes éditoriales afin de l’ajuster aux besoins spécifiques sans pour autant lui enlever son caractère générique. Le formulaire/questionnaire a une double fonction, à la fois contribuer à la récolte d’informations préliminaires, quantitatives donc, sur les pratiques de lecture et la conception de la revue/éditeur par le lectorat, mais aussi au recrutement des enquêté⸱es pour le volet qualitatif qui viendra compléter le protocole d’enquête. 

Selon le calendrier initialement défini, la fin du premier cycle marquée par la clôture du formulaire en ligne a été pensée pour la fin du mois de juillet mais le nombre de réponses obtenues n’a pas été satisfaisant sur le moment. Pour pallier cela j’ai dû prolonger l’échéance. Se confronter à cette impasse fait aussi partie de la mise en épreuve d’une méthodologie : il est nécessaire de réfléchir sur les raisons qui ont contribué à cette pénurie de résultats. Le problème identifié concerne la diffusion du questionnaire et sa mise en avant assez partielle sur les plateformes concernées – une des difficultés du terrain qui devra être remédiée pour s’assurer de la réussite de ce projet de recherche.

 

  • Sur quels dispositifs d’enquête se base l’approche qualitative ?

I.F. L’approche qualitative se base sur des dispositifs d’enquête issus de la sociologie, de l’ethnographie et de la sémiotique. La partie observation qui consiste à étudier les interfaces des plateformes d’OpenEdition, à savoir la classification documentaire, les outils de recherche et la hiérarchisation des contenus, est déjà lancée depuis le début de cette thèse et c’est une procédure largement nourrie par mon expérience antérieure au sein de l’infrastructure, en tant que chargée d’édition pour OpenEdition Books et Journals. En ce qui concerne la partie ethnographie du numérique, c’est-à-dire des pratiques ethnographiques mobilisées dans le but de mieux comprendre les pratiques numériques, je lancerai dans le mois qui vient un cycle d’entretiens semi-directifs, dans la continuité du premier volet quantitatif de l’étude exploratoire qui est en cours.

Il s’agit d’un cycle d’entretiens décliné en trois formats afin de faire parler les acteurs impliqués : le lectorat certes, mais aussi les équipes éditoriales ainsi que la personne intermédiaire qui se charge de la diffusion Freemium. L’idée est d’interroger les personnes enquêtées non seulement sur leurs pratiques mais aussi sur l’idée qu’ils et elles se font de la revue ou de l’éditeur et de l’intermédiaire qu’est la plateforme d’OpenEdition. La fin de ce volet, compte tenu du temps que la retranscription nécessitera, est prévue pour le début de l’année 2025.

 

  • Quelles sont les prochaines échéances pour l’Observatoire et le Lab ?

S.D.P. L’étude exploratoire menée sur des terrains circonscrits et maîtrisés par Ioanna et Mohsine en 2024 permettra d’une part d’apporter quelques éléments de réponse quant aux questions que se posent les deux revues et la maison d’édition au sujet de leur lectorat. Mais cette étude est surtout l’occasion de tester des dispositifs d’enquête et d’analyse, de juger de leur efficacité et de leur pertinence afin de réfléchir à un protocole d’enquête plus général qui pourra être déployé tout d’abord à l’échelle d’OpenEdition. Ainsi, après un compte-rendu technique et méthodologique de cette première étude de terrain début 2025, Ioanna et Mohsine devront réfléchir à la manière de concevoir un protocole d’envergure qui soit cohérent, modulable et réplicable afin de répondre aux attendus opérationnels – tout en poursuivant, bien sûr, les problématiques relatives à leurs questions de recherche propres.

En ce qui concerne OpenEdition Lab plus généralement, nous avons eu le plaisir d’accueillir au début du mois d’octobre une nouvelle doctorante. En co-direction avec la Prof. Lise Verlaet de l’Université Montpellier 3, Marcella Araujo Malheiros travaillera sur la découvrabilité en ligne des contenus de SHS en accès ouvert, en particulier à l’aune de l’irruption de l’I.A. générative. 

Le projet ANR PaRéDo SHS, dont OE Lab est lauréat en partenariat avec le Centre Internet et Société, débute également dès le mois de novembre avec une journée d’étude au Campus Condorcet dédiée à la gouvernance des infrastructures numériques de savoir. Plus largement, PaRéDo SHS se penchera, grâce à l’arrivée d’un·e postdoctorant·e et d’un·e ingénieur·e sur les pratiques de partage et réutilisation des données en SHS et comment celles-ci, dans toute leur diversité, peuvent être favorisées par des formes de gouvernances spécifiques — vers des communs des données ?

Référence

OpenEdition team (11 octobre 2024). Un observatoire des usages pour mieux connaître les pratiques du lectorat d’OpenEdition. L’Édition électronique ouverte.