Vrai débat : où en est-on ? Analyse d’une équipe de recherche lyonnaise
Une équipe du laboratoire Triangle (UMR5206, CNRS / ENS de Lyon / Université Lyon 2 / Sciences Po Lyon / Université Jean Monnet Saint-Etienne) a répondu favorablement à la demande de traitement des données issues de la plateforme du Vrai débat. Cet outil de démocratie constitue un document d’intelligence collective de premier ordre, qui se démarque du simple sondage d’opinion. En effet, avec plus d’un million de votes, 25 000 propositions et 93 000 arguments, il a permis à plus de 44 000 utilisateurs de s’exprimer librement.
Méthodologie
L’équipe pluridisciplinaire a fait le choix d’appliquer une méthodologie en deux temps.
Dégager un socle programmatique
Les chercheurs ont sélectionné les propositions les plus consensuelles (un millier environ), en combinant deux critères :
- un score (le nombre de votes favorables moins le nombre des votes défavorables et mitigés) ;
- un pourcentage significatif de votes favorables.
Avec cette méthode, les chercheurs ont déterminé un Top Mille (1 059 propositions qui regroupent 390 807 votes, 80 % des votes sur les propositions ayant atteint au moins 85 % de votes favorables et 43 % de l’ensemble des votes, soit 898 000), puis un Top Cent (ces cent propositions regroupent 200 686 votes). Ils ont ensuite lu et classé les propositions en partant d’une analyse minutieuse du Top Cent, puis en vérifiant si le Top Mille confirmait ou modifiait la première analyse.
Proposer différents parcours de lecture
Grâce aux outils d’analyse statistique (Iramuteq) et textométrique (TXM), les chercheurs ont pu lire le corpus. Après avoir identifié des thématiques et regroupé les textes qui les expriment dans des sous-ensembles documentaires, ils se sont intéressés à certains thèmes et ont utilisé les outils pour explorer le corpus (vérifications de fréquences, comparaison des contextes d’énonciation).
Ces sous-ensembles documentaires pourront être rendus disponibles en ligne pour toute personne désireuse de contribuer à l’analyse.
Ce que veulent les participants au Vrai débat
À partir des données recueillies, l’équipe de Triangle a identifié quatre grands blocs de revendication.
Une transformation profonde du système politique
Trois points émergent clairement :
- la création d’un Référendum d’initiative citoyenne (RIC) dont il est souvent précisé qu’il doit pouvoir s’appliquer « en toutes matières » ; cette demande va du simple énoncé — « il faut créer un RIC en toutes matières » — à des propositions élaborées avec des constitutionnalistes qui précisent les articles à introduire ou à modifier.
- la prise en compte du vote blanc et nul, présenté comme un moyen de remédier au désintérêt des citoyens pour les élections et souvent lié à la revendication d’élections à la proportionnelle ; les propositions vont de la seule nécessité de la prise en compte à la demande de l’annulation d’une élection où les votes blancs et nuls seraient majoritaires ; une proposition estime que la prise en compte proportionnelle des votes blancs ou nuls pourrait amener des citoyens tirés au sort à siéger au parlement.
- la volonté d’avoir des élus irréprochables et sans privilèges : on sent dans les nombreuses propositions qui concernent cet aspect une grande colère contre tout ce qui est perçu comme un privilège (les Présidents de la République étant particulièrement visés).
On ne ressent pas de refus du système représentatif en tant que tel. En revanche, on trouve toute une série de propositions de réformes visant à remettre les citoyens au cœur du système politique.
Un renforcement du service public
Plusieurs propositions insistent sur la nécessité d’arrêter son démantèlement, de renforcer les équipements qui font partie des biens communs, perçus comme menacés. La demande d’un service public efficace et proche des citoyens est récurrente.
La nécessité d’une proximité et d’une égalité d’accès s’exprime pour la santé (hôpitaux, maisons médicales, médecins), pour les infrastructures de transport (lignes ferroviaires et gares, autres transports en commun).
Beaucoup de participants souhaitent des nationalisations ou des « re-nationalisations » pour les autoroutes, les aéroports, le rail, les barrages hydrauliques, les mutuelles, les assurances, les secteurs de l’énergie, les compagnies de eaux et celles de récolte des déchets.
Une demande de justice sociale et fiscale
Le titre (et la typographie) d’une des propositions résume l’attitude consensuelle sur la justice fiscale et la colère contre ceux qui fraudent : « Les gros payent GROS et les petits payent PETIT - lutter contre l’évasion fiscale ». Il y a une forte demande d’équité (proportionnalité, progressivité) et de sanctions envers les fraudeurs. La lutte contre l’évasion et la fraude fiscale et le retour de l’ISF sont présentés non seulement comme des revendications de justice mais aussi comme des moyens de financer les mesures proposées. Elle va de pair avec la revendication sur le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), dont est parfois demandée la suppression mais plus souvent encore la vérification d’effectivité : si ça ne sert pas à créer des emplois il faut récupérer les sommes avancées.
La question des revenus est clairement avancée sur la base de la revendication de justice sociale : indexation des salaires, des pensions et des retraites sur l’inflation, augmentation du SMIC, des retraites, des minima sociaux et de l’Allocation adulte handicapé (AAH), revalorisation des salaires pour les employés des EHPAD, les enseignants, les ATSEM, les personnels des hôpitaux, etc.
Des revendications écologiques très présentes
Contrairement à l’opposition rebattue entre « fin du mois » et « fin du monde », on observe une aspiration forte à la préservation de l’environnement, souvent conçu comme un bien commun de toute l’humanité : interdiction de l’emploi du glyphosate ; soutien à l’agriculture biologique ; sanction pour les entreprises pollueuses ; circuits courts ; interdiction des emballages non recyclables ou non biodégradables ; fin du projet minier « Montagne d’or » en Guyane (une des rares propositions qui concerne les DOM).
Il faut noter une série d’autres thèmes qui, sans avoir le même caractère central, dessinent des aspirations sociétales progressistes qui complètent le tableau : importance du système d’éducation, volonté de faire progresser l’égalité hommes-femmes, lutte contre les violences sexuelles, lutte contre la répression, droit à mourir dans la dignité.
Les propositions qui vont dans le sens du refus de l’immigration, du refus de l’Europe (frexit), du repli sur soi, du retour à l’ordre moral existent mais sont très minoritaires : contrairement à ce qui est trop souvent affirmé pour dénigrer le mouvement des Gilets jaunes, les participants au Vrai débat ne sont, dans leur très grande majorité, ni xénophobes, ni anti-européens, ni homophobes.