Le Journal de la Société des Océanistes en accès ouvert : défis et opportunités pour l’association qui le porte

Le Journal de la Société des Océanistes (JSO) est la seule revue académique francophone consacrée aux sociétés et cultures océaniennes. Publiée depuis 1945 par la Société des Océanistes (SdO) — une association de loi 1901 hébergée au musée de l’Homme puis au musée du quai Branly-Jacques Chirac —, la revue a pour vocation de diffuser des travaux dans le champ des sciences humaines et sociales (anthropologie, histoire, archéologie, études muséales, histoire des sciences, linguistique, science politique, économie), d’une part, des sciences environnementales et des arts, d’autre part. Le dernier numéro paru (158-159, 2024) est consacré aux souverainetés autochtones ; le prochain (JSO 160, à paraître mi-2025) explore les littératures et leurs dimensions politiques en Océanie et sera l’occasion d’un hommage à la grande poétesse et figure politique et intellectuelle kanak Déwé Gorodé, décédée en 2022. 

La revue s’adresse non seulement aux chercheurs, chercheuses et étudiantes travaillant dans l’aire océanienne, mais aussi à tous les publics s’intéressant au Pacifique sud, du passé de ses nations insulaires jusqu’aux enjeux climatiques, post-coloniaux ou géopolitiques les plus contemporains. Le JSO publie deux numéros par an (ou un numéro double) avec le soutien du Centre national du livre (CNL) et de CNRS Sciences humaines & sociales qui apporte son concours via un poste d'éditeur à mi-temps1 .

L’Océanie et son histoire

Souvent considérée sous l’unique perspective de sa surface maritime et des différents archipels composant les zones géographiques et culturelles distinguées par les premiers navigateurs (la Mélanésie, la Polynésie et la Micronésie), l’Océanie n’est pourtant pas seulement une « mer d’îles », comme l’a qualifiée le grand anthropologue tongien, Epeli Hau’ofa ; elle comprend également les deux vastes étendues continentales de l’Australie et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, peuplées depuis 65 000 ans au moins. Ces régions présentent des caractéristiques linguistiques et culturelles propres les distinguant des Austronésiens qui, partis du sud-est de la Chine il y a 6 000 ans à la faveur d’une période de réchauffement climatique — d’origine non anthropique —, ont progressivement peuplé les îles d’ouest en est. L’Océanie est donc une immense zone géographique aux contours flous et aux multiples origines préhistoriques, historiques, linguistiques et culturelles.

Les contributions publiées par le JSO reflètent la diversité des situations coloniales, sociales, culturelles, économiques, politiques et environnementales de l’Océanie. Depuis les débuts de l’anthropologie, cette région a joué un rôle central dans l’élaboration de concepts clefs des sciences humaines et sociales. Des descriptions ethnographiques minutieuses de missionnaires ou d’administrateurs coloniaux à la fin du xixe siècle ont offert la matière à des théorisations majeures en anthropologie (religion, magie, don, chasseurs-cueilleurs, etc.) La production de théories générales à partir de matériaux océaniens s’est poursuivie depuis, notamment sur les formes de pouvoir, la parenté, le genre, les représentations de la personne, les rituels du cycle de la vie et l’art — autant de thèmes abordés dans le JSO.

Reconfiguration épistémologique

Au cours des dernières décennies, les recherches en sciences humaines et sociales autour de l’Océanie ont diversifié leurs approches, opérant notamment un rééquilibrage pour tenir compte de la multiplicité des voix, des perspectives et des points de vue. Chercheurs/chercheuses et auteurs/autrices autochtones ont tracé la voie pour que leurs épistémologies et leurs modes d’accès aux savoirs soient pris en compte et servent de socles aux recherches conduites avec leurs communautés. Ils soulignent la nécessité d’explorer et d’inclure d’autres modes de connaissance, en particulier fondés sur les pratiques, les savoirs et les valeurs du Pacifique. Les épistémologies venues d’Europe, quant à elles, sont devenues des terrains d’appropriation et de discussions locales. Le JSO s’est donné pour objectif de contribuer au questionnement et au repositionnement de configurations relationnelles souvent asymétriques de la recherche, et d’aider la communauté scientifique, de part et d’autre, à trouver de nouveaux outils méthodologiques permettant un travail coopératif en confiance.

Le JSO, revue ouverte

Tout en se faisant l’écho des recherches menées dans les pays anglophones ou en saluant la naissance du Journal of Pacific History dans son numéro de 1967, ce n’est que deux ans plus tard que le JSO accueille, pour la première fois, plusieurs articles en anglais dans ses pages. Cette ouverture se poursuit tout en conservant l’identité francophone de la revue, grâce à une proportion majoritaire de contributions en français. Plus fondamental, la revue a su se saisir de manière précoce des outils de diffusion numérique proposés dans le cadre du Plan national pour la science ouverte et de l’élaboration du « modèle diamant ». Sous l’impulsion de la rédaction en chef d’Isabelle Leblic (2004-2022), elle est passée progressivement à un accès libre immédiat. En 2023, la revue a rejoint le programme « Souscrire pour ouvrir », grâce auquel la plateforme Cairn maintient les abonnements institutionnels des revues désormais en libre accès, avec le soutien de l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (ABES), du consortium Couperin et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR). Un questionnaire envoyé aux adhérents de la Société en 2023 ayant montré leur attachement à la version imprimée de la revue, le format papier est maintenu, mais une réflexion est engagée sur la refonte de la maquette.

Politique éditoriale

Cette politique d’ouverture s’est poursuivie sous la rédaction de Jessica De Largy Healy, anthropologue CNRS au Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative, et Maïa Ponsonnet, linguiste CNRS au laboratoire Dynamique du langage, élues co-rédactrices en chef du JSO en juin 2022. Travaillant toutes deux en contexte aborigène australien, où les questions éthiques propres à la recherche contemporaine sont posées depuis longtemps, elles ont souhaité ouvrir plus largement la revue aux épistémologies autochtones et aux débats contemporains dans le Pacifique.

En réponse aux demandes des membres de la SdO et, plus généralement, de la communauté des chercheurs et chercheuses travaillant dans la région, la nouvelle rédaction a mis en œuvre une politique de communication active et réfléchie. La création de la nouvelle rubrique « Chroniques de l’actualité scientifique et culturelle » a été l’occasion de faire circuler des appels à contributions auprès des membres de l’association et de réseaux de recherche via diverses listes de diffusion. Ces démarches ont porté leurs fruits et permis d’accueillir davantage de textes émanant de jeunes chercheuses etchercheurs francophones basés dans le PacifiqueLa revue a aussi élargi ses champs disciplinaires en sollicitant des dossiers sur des thèmes peu ou pas traités jusqu’à présent (JSO 157 sur « École et vivre ensemble » en 2023) ou la littérature (JSO 160 en 2025).

Outre la pérennisation de rubriques habituelles (comptes rendus d’ouvrages scientifiques, In Memoriam), de nouvelles ont vu le jour, comme les « Recherches émergentes » où des présentations de travaux en cours côtoient les « Positions de thèses » permettant aux jeunes docteurs de résumer le contenu de leurs recherches doctorales. Un espace d’analyse et de discussion autour d’une théorie, d’un débat d’idées ou d’un phénomène social a été instauré sous l’intitulé « Dialogues et débats ». Quant aux comptes rendus, ils s’ouvrent désormais aux publications grand public, aux événements culturels ou scientifiques (« Vu, lu, entendu »), de même que les articles synthétiques dédiés à un thème scientifique peuvent être spécifiquement rédigés à destination de non-spécialistes.

Derrière la qualité éditoriale…

Depuis 2021, la revue fonctionne avec l’appui d’un comité éditorial composé de quatre membres internes à la SdO (choisis au sein du Conseil d’administration) et de huit membres externes. Son fonctionnement a été affiné de manière à épauler efficacement la rédaction dans ses décisions éditoriales (propositions de thèmes de dossiers, de directeurs de numéros et d’évaluateurs). Un système d’un ou d’une « référente » par article qui prend en charge le suivi des révisions a également été créé. 

Pour survivre et répondre aux exigences de qualité, une revue de la taille du JSO doit optimiser chaque étape du processus éditorial, de l’évaluation en double aveugle aux corrections d’épreuves. Les responsabilités des auteurs en amont de la soumission et au moment des révisions ont été précisées, avec une page d’instructions aux auteurs plus détaillée, y compris sur la question des droits iconographiques. Le format des fiches d’évaluation a été revu pour encourager des commentaires bienveillants et constructifs. Ces améliorations d’apparence anodine ont leur importance : chacune d’entre elles valorise l’expérience de publication des auteurs et autrices, génère des gains de temps pour la fabrication et finalement optimise le fonctionnement éditorial et le niveau scientifique des publications.

Présidente de la Société des océanistes : Pascale Bonnemère, directrice de recherche CNRS, Centre de recherche et de documentation sur l'Océanie (CREDO, UMR7308, CNRS / AMU /EHESS)
Corédactrices en chef : Jessica De Largy Healy, chargée de recherche CNRS, Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative (LESC, UMR7186, CNRS / Université de Nanterre) ; Maïa Ponsonnet, chargée de recherche CNRS, Dynamique du langage (DDL, UMR5596, CNRS / Université Lumière Lyon 2)

JSO

  • 1Raphaëlle Chossenot a été éditrice de la revue de novembre 2016 à septembre 2023 et CNRS Sciences humaines & sociales affecte Chloé Beaucamp à ce poste avec une prise de fonction en avril 2025.