Médiévales
Le couple dans le monde franc, n°65 automne 2013
Dossier coordonné par Sylvie Joye, Emmanuelle Santinelli-Folitz et Geneviève Bührer-Thierry
Créée en 1982, la revue semestrielle Médiévales publie des articles en français sur tous les aspects du Moyen Âge : histoire, littérature et linguistique mais aussi droit, archéologie et histoire de l’art. Éditée par les Presses Universitaires de Vincennes, elle accueille des contributions scientifiques originales réalisées par des chercheurs confirmés ou débutants. Chaque numéro de Médiévales comprend un important dossier thématique coordonné par un spécialiste et un ensemble de rubriques qui traitent de l’actualité de la recherche.
Si on a beaucoup parlé de la crise de la famille, c’est sur la définition du couple que se concentrent les débats aujourd’hui, en particulier à l’occasion de la discussion autour du mariage des homosexuels en France. Si les enjeux de ces débats sont propres à nos sociétés contemporaines, certaines périodes passées ont déjà vu la réflexion sur le mariage, le couple et la famille prendre une grande importance et susciter difficultés et résistances. C’est en particulier le cas de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge, où le couple est devenu un enjeu essentiel de la réflexion sociale et morale. Le couple se trouve aussi à la conjonction de deux notions fondamentales, la famille et la parenté.
L’objectif du numéro spécial de Médiévales est de mieux cerner la définition du couple et les réalités multiples qu’il recouvre au haut Moyen Âge (VIe-XIIe siècle).
Que représente ce couple dans la réalité quotidienne et dans la perception que l’on en avait, ainsi que les évolutions qui affectent l’une et l’autre, à une époque marquée par le rôle déterminant des groupements de parenté larges ?
Comment un homme et une femme, mariés légitimement sans s’être choisis, vivent-ils et agissent-ils ensemble, ce qui ne signifie pas forcément de la même manière ? Sont-ils envisagés en tant que communauté solidaire, ce qui ne signifie pas égalitaire ? Comment le couple s’inscrit-il dans les groupements de parenté larges et quelles sont les conséquences sur ce plan de la transformation progressive, aux Xe-XIe siècles, des Sippen (alliances en dehors des liens du sang) en lignages ? Le couple correspond-il à la même réalité et est-il perçu de manière identique à tous les échelons de la société et dans tous les espaces ?
Le couple a souvent été considéré par les médiévistes occidentaux à la fois comme une donnée de l’organisation d’une société civilisée et comme une invention de la période carolingienne. Loin d’une vision bucolique du couple tel qu’il apparaît dans les polyptyques, Janet Nelson propose de réexaminer la typologie des groupes familiaux, les unions hyper- et hypogamiques et la pertinence de la notion de « compagnonnage du mariage ».
Le couple conjugal n’est pas une donnée sociale invariable et intangible, mais une construction soumise au changement. Pour Régine Le Jan le mariage au haut Moyen Âge est au centre des échanges qui assurent l’équilibre social et régulent la compétition entre les groupes aristocratiques. A la fin du IXe siècle des changements profonds conduisent à associer directement l’épouse aristocratique à la gestion du pouvoir, et à mettre en scène le couple aristocratique en tant qu’acteur social et politique.
L’article de Sylvie Joye évoque la figure du couple resté vierge après le mariage dans l’hagiographie du très haut Moyen Âge et rappelle les paradoxes de la valorisation simultanée de l’ascétisme et de l’amour conjugal à la fin de l’Antiquité. L’article analyse ensuite plus précisément la mise en scène de ces couples vierges, en particulier dans la Vie d’Amâtre et dans les œuvres de Grégoire de Tours.
À partir d’un corpus iconographique présentant des couples extraordinaires mais aussi des époux ordinaires, l’étude de Dominique Alibert s’attache à définir la place que l’iconographie carolingienne entend attribuer au couple. Si la fonction parentale et la condamnation de l’adultère sont mis en avant, ce n’est pas exclusivement pour des questions morales mais aussi parce que la dynastie carolingienne a la mission de conduire le peuple franc, nouveau peuple élu.
Comment le couple intervient-il dans les stratégies compétitives ou du moins quel témoignage en donnent les sources ? Pour Emmanuelle Santinelli-Foltz, il s’agit d’analyser les relations non seulement au sein du couple mais aussi entre celui-ci et les groupes familiaux dans lesquels il s’insère. Trois cas de figure sont envisagés : celui où le couple apparait solidaire ; celui où les conjoints, tout en étant liés, se trouvent investis différemment dans la compétition ; enfin, celui où ils sont en compétition l’un contre l’autre.
En comparant les sources normatives et narratives avec la norme religieuse énoncée dans les canons des conciles, Agathe Barouin explique comment l’Église a progressivement investi le champ matrimonial laissé vacant par le pouvoir royal, jusqu’à encadrer entièrement les relations de couple à partir de l’époque carolingienne. Du Ve siècle au Xe siècle, l’article montre les spécificités du couple alti-médiéval du point de vue du droit à travers les relations personnelles et les rapports patrimoniaux du couple.
Dans la mise en place des structures lignagères en Provence, entre la fin du Xe siècle et la première moitié du XIIe siècle, la part prise par le couple et les stratégies qu’il déploie dans la gestion du patrimoine familial apparaissent prégnantes. Laure Verdon décrit comment la femme, en sa qualité d’épouse et de mère, se place au cœur des relations privilégiées que le lignage entretient avec certains établissements ecclésiastiques, tout comme sa dot sert le jeu des alliances féodales.