Réseaux – Communication – Technologie – Société
Sociologie des bases de données?, mai-juin 2013
La revue Réseaux – Communication – Technologie – Société s'intéresse à l'ensemble du champ de la communication en s'axant tout particulièrement sur les télécommunications. Les mass-médias et l'informatique sont également abordés. La réflexion sur la communication étant à l'origine de nombreux débats au sein des sciences sociales, des numéros sont aussi consacrés à des questions d'ordre théorique ou méthodologique. Bien qu'orienté plutôt vers la sociologie, la revue Réseaux souhaite traiter les problèmes de la communication de façon pluridisciplinaire et ouvre ses colonnes aux historiens, aux philosophes et aux économistes. Chaque numéro, dédié à un thème spécifique, donne l'occasion de faire dialoguer des chercheurs appartenant à des équipes différentes, tant françaises qu'étrangères.
Depuis plusieurs décennies, les bases informatiques ont pris une place considérable dans nos sociétés en permettant la structuration, le stockage, la circulation et la mise en relation des informations sous la forme de données. Aujourd'hui et de plus en plus, les individus et les organisations prennent appui sur ces bases de données pour se coordonner depuis des mondes sociaux souvent hétérogènes. L'objectif de ce numéro est de permettre la compréhension et l'explication de ce phénomène mal connu et de contribuer à l'émergence d'un savoir plus général dans ce domaine, d'une analyse sociologique des bases de données.
La mise en place des bases de données exige des tâches très particulières pour les individus et les organisations, qui ont des implications sur les contenus du travail, sur les identités professionnelles et sur les modes de collaboration. Elle s'accompagne de problèmes spécifiques de régulation qui interrogent nos sociétés contemporaines.
Quelles sont les conventions qui sous-tendent la collecte des données ? Sur quels choix s'appuie l'élaboration de l'architecture de la base ? De quelle manière les collectifs de travail parviennent-ils à relier la base aux univers de pratiques dans lesquels évoluent les organisations ? De quelle manière la prolifération des bases affecte-t-elle les rapports entre les mondes sociaux ?
L'article de Michel Atten fait une plongée historique dans les États-Unis des années 1960. Avant même que n'apparaissent les bases de données informatiques, l'auteur montre qu'un vaste débat public émerge autour des conséquences néfastes que le traitement de données peut avoir du point de vue du respect de la vie privée. A l'orée des années 1970, l'accumulation des informations dans des banques de données est déjà perçue comme une menace pour les individus et les entreprises.
Prolongeant en partie cette perspective historique, Patrice Flichy propose un questionnement global des dispositifs de traitement de données : opérations de collecte, de classement et de traitement des données et leurs usages. En se basant sur une grande diversité de cas dans des contextes aussi différents que l'entreprise ou les pratiques amateurs, l'auteur examine l'ensemble des opérations qui rendent possible la mise en visibilité de l'information par le traitement de données.
Jérôme Denis et David Pontille apportent une analyse intéressante sur la façon dont les données sont élaborées et mises en base. À partir d'une liste de discussion collective, les auteurs répertorient les difficultés qu'éprouvent les cartographes amateurs qui recensent les aménagements cyclables de leur ville. La mise en base de l'infrastructure urbaine sous l'angle de la « cyclabilité » révèle les difficultés qui entourent toute démarche de constitution d'une base de données.
Sylvain Parasie considère la façon dont des journalistes et des militants mobilisent les bases de données comme des instruments permettant de rendre visibles des phénomènes qui échappent au regard des citoyens. À partir d'une enquête réalisée en France et aux États-Unis, il montre la manière dont les humains et les machines sont associés dans la production de nos indignations collectives et invite à penser une « sociologie morale des bases de données ».
Éric Dagiral et Ashveen Peerbaye examinent l'articulation des bases de données avec les univers de pratique, à travers la plate-forme « maladies rares », base de données qui tente de coordonner les activités d'acteurs hétérogènes. Les auteurs montrent l'importance de la négociation, de la co-conception et du partage de « vues » sur les données, pour maintenir une coopération entre les acteurs et assurer la mise en circulation de connaissances jugées fiables et pertinentes.
Partageant une interrogation proche, Pascal Ughetto s'intéresse à la manière dont une base de données peut constituer un instrument du point de vue de l'activité de travail. Analysant le cas d'une base de suivi du personnel dans une grande entreprise, l'auteur démontre que les salariés de la DRH, incités à utiliser la base, n'y voient pas un instrument utile pour leur activité et craignent qu'elle devienne un outil de traçabilité de leurs interventions.
Le dernier article porte sur la possibilité de faire advenir de nouveaux collectifs via le partage de bases de données. Alexandre Mathieu-Fritz et Laurence Esterle étudient le cas d'un « dossier informatisé communiquant » entre les professionnels de santé de Picardie. L'objectif d'améliorer la communication entre médecins généralistes et établissements de soin se heurte à plusieurs difficultés importantes et la base échoue à permettre la coordination entre les professionnels.