Revue Française de Socio-économie

Faire de la sociologie économique avec Pierre Bourdieu ?, n°13 2014/1

Dossier coordonné par Bernard Convert, Hélène Ducourant et Fabien Éloire

La Revue Française de Socio-économie (RFSE) publie des travaux scientifiques qui visent à produire des connaissances pertinentes à propos de la réalité concrète des pratiques économiques. La RFSE considère que les sciences sociales devraient se parler et que c'est de leur articulation que pourra émerger un discours économique utile aux hommes et à leur environnement. Au carrefour des sciences sociales de l'économie, cette revue se veut le média privilégié de ce dialogue, contribuant ainsi à la structuration d'un champ scientifique et à l'enrichissement des débats de sociétés. Les auteurs s'engageant dans cette nouvelle aventure éditoriale sont tout naturellement issus de l'hétérodoxie économique, ainsi que de la sociologie, de la science politique, de la gestion, de l'histoire.

Prenant l'expression « Faire de la sociologie économique avec Pierre Bourdieu » au sens métaphorique ou au pied de la lettre, les cinq articles qui composent le dossier analysent de nouveaux terrains en utilisant les concepts bourdieusiens, revisitent les terrains classiques trente ans après Pierre Bourdieu et ses collaborateurs ou effectuent une relecture de son œuvre en montrant comment les questions économiques la traversent et lui donnent forme. Les travaux présentés sont au croisement soit d'autres sous-champs sociologiques, soit de la sociologie et de l'histoire (Grèce antique ; XVIIIe siècle). Ils s'appuient sur des données qualitatives et quantitatives, et mêlent travail empirique et réflexion théorique. Ils apportent un regard renouvelé sur des thèmes comme l'autonomisation du champ économique ou encore les transformations affectant le champ du pouvoir. En fin de dossier, ces contributions sont complétées par trois entretiens accordés par Marie-France Garcia-Parpet, Frédéric Lebaron et Monique de Saint Martin, trois sociologues ayant travaillé ou vu travailler Pierre Bourdieu sur des objets économiques à différents moments de son cheminement.

Trente-cinq ans après l'article de Bourdieu et Saint Martin sur Le patronat, l'article de François-Xavier Dudouet, Éric Grémont et Hervé Joly présente le champ du pouvoir économique en France à partir des 838 dirigeants des grandes entreprises composant l'indice CAC 40 en 2009. Où en sont aujourd'hui les «  patrons d'État » ? Occupent-ils toujours une position centrale dans la structure de la distribution du pouvoir économique, politique et social ? Dans ce cas, quelles sont les stratégies de reproduction qu'ils ont mises en place pour se maintenir ? Et quelles transformations du champ du pouvoir et du champ des Écoles du pouvoir, cela a-t-il induit ? L'étude met au jour une structure qui oppose dirigeants issus de l'État et dirigeants étrangers, avec au centre les dirigeants français non passés par l'État.

Boris Deschanel s'intéresse à un épisode de la construction, par l'État et certains agents économiques, du champ économique et d'un habitus économique. Il prend pour terrain l'analyse des milieux d'affaires dauphinois impliqués dans le secteur du textile dans la seconde moitié du XVIIIe siècle jusqu'à la Révolution. L'auteur montre que loin d'une simple opposition entre le « libéralisme » marchand et le « protectionnisme » étatique, les tensions qu'il observe entre les deux partis se situent dans le positionnement des différents agents vis-à-vis du champ économique, de la construction de ce champ et de leurs évolutions au fil des générations.

Dans un genre très différent, la question de l'autonomisation d'un champ économique est traitée par la contribution de Christophe Pébarthe, portant sur un objet que les sociologues jugeront assez insolite : la sphère des activités productives dans la Grèce antique et sa relation au champ du pouvoir. Appliquée à une société ancienne, cette analyse permet d'envisager autrement la division du travail social et de montrer que la société athénienne ancienne est une société différenciée. Elle présente l'intérêt d'interroger l'universalité du processus de différenciation des activités sociales qui est sous-jacente à l'idée d'autonomisation de champs.

Manuel Schotté s'attache au fonctionnement de l'espace footballistique européen et montre que celui-ci ne relève pas d'une intrusion récente et inéluctable des forces financières qui porteraient atteinte à ce sport. Les investissements marchands dont le football est l'objet sont assujettis à une logique spécifique. L'espace footballistique européen n'est intelligible que si l'on met au jour les luttes symboliques et les enjeux sociaux qui le traversent et qui expliquent la prévalence de la « logique sportive » dans sa structuration.

Marie-France Garcia-Parpet revient sur la genèse des principaux concepts bourdieusiens et se donne pour but d'analyser la sociologie de l'économie chez Pierre Bourdieu. Elle décrit non seulement le contexte de leur construction et leur évolution au fil des œuvres, mais aussi comment leur création destinée à analyser des faits économiques a ensuite permis d'analyser d'autres faits sociaux. S'opposant à une rationalité économique universelle qui s'inscrit dans la nature humaine, l'historicité de l'économie est au premier plan et l'histoire du processus de différenciation aboutit à la constitution d'un jeu spécifique, le champ économique obéissant à ses propres lois. Enfin, loin de se cantonner dans des secteurs marginaux de l'économie, le symbolique est au cœur de l'économie.

 

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