Techniques & culture
Objets irremplaçables, n°58, 1er semestre 2012
Fondée par Robert Creswell à la fin des années 70, Techniques & culture est une revue d'anthropologie qui s'intéresse en particulier à l'ethnologie des techniques, des plus « traditionnelles » aux plus modernes, aux techniques comme productions socioculturelles à part entière au cœur des rapports entre les hommes, mais aussi entre les sociétés et leur environnement. La publication semestrielle s'organise autour de numéros thématiques.
Le dossier proposé s'inscrit dans le renouveau des études sur la culture matérielle, qui consiste à prendre en compte les dimensions physiques des objets et des techniques. Il ne s'agit plus seulement d’étudier les contextes dans lesquels des objets acquièrent le statut d’« irremplaçables » et les conséquences de cette distinction pour les acteurs des sociétés, mais d’essayer de comprendre quels aspects des objets en question sous-tendent ce statut. Les objets les plus divers peuplent notre quotidien, certains sont strictement utilitaires, modestes, d’autres précieux et ostensibles, d’autres encore sont de statut incertain, hybrides, compliqués, inclassables. Certains clivent nos différences de sexes ou de statut social mais, au-delà des différences culturelles, en existent-ils qui peuvent être taxés d’irremplaçables par les sociétés qui les mobilisent ?
Dans la première partie intitulé « Faire de l’unique », archéologues, anthropologues et historiens soulignent les aspects physiques et idéels de ces objets choisis et explorent les contextes dans lesquels ils acquièrent ce statut d’irremplaçable.
Les tambours à fente de Papouasie-Nouvelle-Guinée sont décrits par James Leach comme étant tellement liés à leur propriétaire que l’on dit qu’ils sont leur voix. À la lumière d’une attaque contre un grand tambour à fente, il explique qu’ils ne sont pas des représentations de personnes, mais des choses uniques, irremplaçables en raison de leur position relationnelle.
Katerina Kerestetzi nous montre comment la nganga, chaudron de fer objet central du culte afro-cubain du Palo Monte, est une source de savoir et de pouvoir pour son possesseur. Elément structurant de la pratique religieuse, symbole du culte et des prêtres, il devient un être singulier et irremplaçable dont la destruction remettrait en cause la vie même du possesseur.
Dans les hautes terres des Andes, les gens développent parfois des relations d’affection vis-à-vis d’objets qui les rendent irremplaçables et font qu’on considère que ces objets sont vivants. Bill Silar étudie le cas des ilias et conopas, petites pierres utilisés dans les rituels domestiques et avec lesquelles les humains construisaient des relations sociales individuelles.
Toujours dans les Andes, Sophie Desrosiers analyse les produits textiles et leur place dans la vie matérielle, sociale, économique, politique, religieuse et artistique. Il s’agit de comprendre ce qui a amené des générations de tisserandes à transmettre et à conserver leurs savoirs, et donc à mettre en évidence leur caractère irremplaçable.
Enfin Gil Bartholeyns choisit le monde médiéval où les biens irremplaçables, c'est-à-dire indispensables à la vie ou à la reproduction de la société, se trouvent dans deux domaines. Le sacré tout d’abord, avec les reliques. Mais aussi l’industrie textile, où certains objets sont désormais des produits avec une personnalité, une réputation et des marques qui garantissent qu’ils ne peuvent être remplacés par d’autres.
Dans la seconde partie sont révélés la logique des relations sociales et celle des procédures matérielles qui créent des objets uniques et indispensables et les ruses déployées pour « remplacer l’irremplaçable ».
Denis Monnerie se penche sur les cérémonies qui sont un moment fort d’expression sociale, culturelle, artistique et technique de la civilisation kanak. La circulation des objets dans les cérémonies prend une forme spécifique de chaîne opératoire élaborant des relations sociales de premier plan.
Ludovic Coupaye nous fait découvrir les pierres sacrées des Abelam de Papouasie, objets invisibles et secrets, essentiels pour la culture et les rituels. Les pratiques qui entourent ces pierres sacrées permettent d’affiner les interprétations en y intégrant les relations sociales entre clans et villages, mythes et rites, espèces naturelles et entités surnaturelles.
D’après Jean-Paul Demoule, le recyclage des déchets sous forme d’œuvre d’art transforment en objets irremplaçables des objets remplaçables et remplacés. L’archéologie retrouve alors dans l’étude des sociétés humaines à travers leurs déchets, les préoccupations de certains courants artistiques sur la durabilité des sociétés humaines et sur ce qu’il en restera.
Dans le dernier article, Michael Rowlands, par objet irremplaçable, se réfère à la possibilité de penser une aire culturelle comme définie par la possession d’un objet significatif qui lui confère son identité unique dans un contexte global. Pour l’Afrique, l’objet fétiche qui se présente comme un irréductible stéréotype culturel est le masque