Volume ! La revue des musiques populaires

Composer avec le monde - Œuvres, auteurs et droits en tension : musique et danse dans la globalisation,  10:2 - 2014/1

Volume ! La revue des musiques populaires est une publication semestrielle, créée en 2002 par Samuel Étienne, Gérôme Guibert et Marie-Pierre Bonniol, et publiée par les Éditions Mélanie Seteun, une maison d'édition associative fondée en 1998. Il s'agit de l'unique revue française, à comité de lecture, exclusivement dédiée à l'analyse des musiques populaires. La revue offre un espace autonome aux chercheurs souhaitant développer des recherches spécifiques consacrées à l'étude pluridisciplinaire des musiques populaires, en croisant les apports méthodologiques et théoriques français avec ceux des culturalet popular music studies.

À l'heure où le numérique fait émerger non seulement de nouveaux modes d'écriture, d'écoute, d'échange, de circulation et de stockage des données, mais aussi des formes inédites d'autorité, d'économies et de relation au temps et au monde, ce numéro interroge les notions de création musicale et chorégraphique dans un contexte de globalisation. À travers une série d'études de cas qui dépassent les distinctions Nord/Sud, écrit/oral, savant/populaire, religieux/profane, les articles s'attachent à montrer combien les pratiques contemporaines de composition s'inscrivent dans un continuum qui va de l'interprétation à l'innovation la plus radicale, en passant par la reprise et la transformation de matériaux. Aujourd'hui, la circulation globalisée des genres et des styles musicaux, à laquelle s'ajoute l'usage généralisé des nouvelles technologies, constituent autant d'éléments permettant de situer ces musiques au sein de régimes de création communs. Les pratiques de composition et de recomposition sont interrogées en termes de régimes d'autorité, ce qui permet de montrer que, dans de multiples régions du monde, des solutions alternatives aux « droits d'auteur » - certaines anciennes, d'autres plus récentes - ont été mises en place et s'inscrivent désormais dans ces nouvelles économies de services suscitées par la démocratisation du numérique.

Martin Stockes cherche à savoir dans quelle mesure la globalisation accroît ou entrave la créativité culturelle. Il revient sur deux moments clés de l'histoire des relations globalisées, l'un qu'il nomme « Première rencontre coloniale », l'autre World Music. Il montre que ces deux moments ont conduit à la transformation des musiques et des sociétés en présence. Si la période coloniale voit se développer de nombreux échanges musicaux, il faut attendre la World Music à la fin du XXe siècle pour que ces rencontres transculturelles soient légitimes au plan politique.

L'« Appropriation », dans les écrits sur la musique, désigne toutes sortes de copies, d'emprunts ou de recyclages qui aboutissent à constituer une pièce musicale en utilisant des éléments préexistants. Denis-Constant Martin fait une analyse politique de ce mécanisme essentiel dans l'élaboration des musiques « actuelles », et qui se rencontre également dans bien d'autres genres. L'appropriation apparaît comme l'alpha et l'oméga de la création, elle transporte des significations symboliques qui mettent en jeu le Soi et l'Autre, l'identité et l'altérité et contribuent à la configuration des identités.

Abdoulaye Niang appréhende l'émergence d'un « rap prédicateur islamique » au Sénégal. Ce nouveau genre musical manifeste tout à la fois l'adhésion, et la participation à une culture globale assortie d'un certain retour aux sources. Niang montre comment la légitimité et le succès mondial du mouvement hip-hop permettent non seulement son appropriation au Sénégal, mais aussi comment le rap prédicateur interroge en retour les questions liées à l'identité nationale et aux rapports sociaux, ébranlés par ce qu'il appelle « les incertitudes d'une modernité "mouvante" ».

La création chorégraphique ouest-africaine met en jeu des appropriations d'esthétiques et d'imaginaires croisées, des rencontres et des frictions entre artistes européens et africains. Sarah Andrieu analyse ces logiques créatives souvent désignées par l'expression de « métissage artistique » et questionne, autour de la notion de « traduction culturelle », les valeurs qui donnent sens à cette création chorégraphique. Elle met en lumière les manières d'innover et leur inscription dans un héritage, l'adaptation des formes patrimoniales africaines au contexte contemporain.

Jean-Paul Fourmentraux se consacre quant à lui à des projets français pluridisciplinaires, où cohabitent théâtre, danse, cinéma ou vidéo, en lien avec les technologies informatiques et multimédias. Il montre que les œuvres sont placées « au cœur d'une négociation entre artistes, informaticiens, dispositifs techniques et publics enrôlés ». La création devient une entreprise collective, qui articule des savoirs et savoir-faire complémentaires et qui redéfinit la position hiérarchique de l'auteur et de l'œuvre, obligeant à repenser les catégories de la propriété intellectuelle.

L'article de Juan Paulhiac explore l'impact des médias numériques dans le marché musical local de la champeta à Cartagena (Colombie). Phénomène musical spectaculaire, la champeta est issue de l'appropriation et de la transformation de musiques africaines et de leur adaptation aux ressources artistiques locales. Le succès de l'industrie locale de la champeta émerge grâce à l'adoption rapide des technologies numériques et un usage efficace des infrastructures d'accès à Internet mises à disposition par l'État. C'est bien la réactivité des secteurs informels de l'économie culturelle locale, en dehors du cadre réglementaire du droit d'auteur, qui permet l'adaptation rapide de la champeta aux mutations des régimes technologiques.

Au Mali en 2009, Konou Drambé, cadet d'une grande famille maraboutique de Djenné sort une première cassette audio de louanges islamiques maduhu. Cette cassette crée immédiatement une polémique car Drambé est accusé d'usurpation d'autorité et de déni de filiation. Emmanuelle Olivier pose la question des différents régimes d'autorité exercés sur ces louanges religieuses, des usages locaux versus la législation nationale, en montrant toutes les tensions, les accommodements ou les innovations, que la coexistence de ces différents régimes génère.

Elina Djebbari décrit les différentes formes d'autorité exercées par les artistes de Ballet au Mali. Ces artistes ne sont pas censés maîtriser ou conserver pour eux indéfiniment ce qu'ils créent, leur logique reposant plutôt sur l'idée « de transmettre ou de se faire prendre, c'est-à-dire abandonner la maîtrise de ce que l'on crée ». Cette logique va à l'encontre du caractère inaliénable des œuvres prôné par les législations nationales pour privilégier au contraire la circulation et la modification des matériaux, attribués à des individus dont le statut d'auteur est pensé comme un « état provisoire ».

 

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