Soutenir des recherches au long cours : les Suivis ouverts des sociétés et de leurs interactions (SOSI)

La Lettre

Les dispositifs de soutien et de financement des recherches en sciences humaines et sociales sont multiples et même foisonnants. Ils permettent d’accompagner des projets de dimensions très variables allant de la recherche ponctuelle — via par exemple des contrats de recherches locaux ou des appels à projets (APP) d’amorçage — à des programmes de plus large ampleur financés par des agences de financement de la recherche, telles que l’Agence nationale de la recherche (ANR) ou le Conseil européen de la recherche (ERC). 

Dans ces conditions, il pourrait sembler inutile, ou redondant, de mettre en place un nouveau dispositif de soutien à la recherche. Pourtant, le dialogue régulier avec les laboratoires et les porteurs de projet fait apparaître que la plupart des outils existant peinent à répondre à l’un des besoins de la recherche fondamentale, en sciences humaines et sociales (et sans doute dans les autres sciences) : le temps, plus précisément la durée et la sécurisation des conditions pour qu’une recherche de longue haleine puisse se déployer. Le plus souvent, ces soutiens s’inscrivent dans des temporalités allant rarement au-delà de quatre ou cinq ans. Cela pose deux types de problèmes. Pour les projets achevés, au terme de leur période de financement, la mise à disposition, par la suite, de certains de leur acquis, notamment les bases de données, constituent une difficulté certaine. La solution passe ici principalement par la construction de plans de gestion de données, par des choix techniques et scientifiques initiaux pensés de manière à s’assurer que, à l’issue du projet, les résultats restent durablement accessibles, notamment au travers des outils offerts par les infrastructures de recherche Progedo et Huma-Num. Pour d’autres projets, la durée des financements est généralement insuffisante pour faire aboutir la recherche. C’est le cas notamment d’un certain nombre d’enquêtes dont l’une des principales plus-values provient du fait qu’elles peuvent durer et s’apparenter à des observatoires des phénomènes sociaux. Ici, le temps d’observation n’est pas seulement pourvoyeur de connaissances supplémentaires mais de connaissances nouvelles, inédites, inaccessibles à des enquêtes ponctuelles ou limitées dans le temps. C’est d’abord à ce type d’entreprises que s’adressent les Suivis ouverts des sociétés et de leurs interactions (SOSI).

Ces SOSI s’adressent également à des enquêtes qui portent sur des enjeux de société et visent l’élaboration d’analyses en profondeur, parfois ancrées dans des espaces ou milieux de vie, et/ou de manière diachronique de dynamiques sociales, économiques, politiques, culturelles, etc., y compris lorsqu’il s’agit d’éclairer les événements contemporains. Il s’agit, à travers eux, de constituer des observatoires de recherche en sciences humaines et sociales. Ces dernières ont déjà une expérience de ce dispositif de recherche à travers leur intégration à des observatoires développées de longue date par les sciences de l’environnement et de l’écologie et par les sciences de la terre et de l’univers. Cependant, ces SOSI abordent des questions qu’explorent en propre les sciences humaines et sociales.  

Les cinq SOSI présentés dans ce dossier sont de nature très diverse et à des stades d’élaboration variés ; ils relèvent de champs disciplinaires très différents. Certains permettent de prolonger ou de stabiliser dans le long terme des enquêtes ou d’actualiser des outils qui n’ont pu être complètement achevés dans la temporalité de leur financement sur projet. C’est le cas du SOSI ObHisPOP qui s’appuie sur l’IA pour transcrire de manière automatique des sources anciennes et constituer des bases de données historico-démographiques de taille inédite ou du SOSI GISCOPE 84 qui forme un observatoire des cancers d’origine professionnelle à l’échelle d’un territoire, le Vaucluse. D’autres pourront tirer profit de cette longévité pour déployer des enquêtes longitudinales (SOSI DEMAIN sur les jeunesses françaises) ou proposer des analyses comparatives bénéficiant d’une profondeur temporelle suffisante pour identifier des évolutions et mieux, dans le cas du SOSI Taxipp, évaluer l’impact des politiques fiscales. Enfin certains SOSI, comme le projet VIgramm consacré aux micro-variations grammaticales des langues romanes, trouvent, dans ce dispositif, la possibilité de construire une enquête au long cours sur l’évolution de ces langues et, à partir de nouvelles méthodes de traitement des données (méthodes statistiques et de clustering), d’explorer les changements communs connus par elles sans qu’elles soient au contact les unes des autres. Ce projet permet ainsi d’identifier des processus généraux de changement linguistique. 

À travers ce nouvel outil mis en place il y a dix-huit mois, CNRS Sciences humaines & sociales souhaite donc soutenir de manière explicite la production d’enquêtes de longue haleine en humanités et en sciences sociales. L’institut le fait avec les moyens dont il dispose. Il ne s’agit pas pour CNRS Sciences humaines & sociales de financer intégralement de tels projets, mais de leur proposer un cadre de recherche stable sur cinq à dix ans, qui soit aussi en mesure de prendre le relai ou de venir compléter d’autres financements acquis. 

En nombre nécessairement limité, ces SOSI doivent répondre à un certain nombre de critères garantissant qu’ils bénéficient in fine à des communautés plus larges que celles des porteurs du projet. Initialement construits autour d’une équipe ou d’une unité de recherche, ces SOSI ont vocation à fédérer deux ou trois autres équipes autour de la mise en œuvre de l’enquête et de l’exploitation de ses résultats. Ces projets, dans une démarche de science ouverte, doivent également être attentifs à mettre à disposition de communautés académiques plus larges leurs données, en s’appuyant notamment sur les infrastructures de recherche et, ainsi, permettre leur réemploi. Enfin, ces SOSI doivent pouvoir, encore une fois selon des modalités très variées, être en mesure de valoriser les résultats de leurs travaux auprès du monde extra-académique.

Une réunion le 16 octobre dernier au siège du CNRS a permis de rassembler les SOSI et de faire un premier état des lieux de ce dispositif, d’examiner les modalités de sa mise en œuvre avec les porteurs. Un dialogue régulier avec l’institut autour de ces petits observatoires en sciences humaines et sociales, de leurs résultats scientifiques, de leur apport propre, se met ainsi en place. 

Fabrice Boudjaaba, directeur adjoint, CNRS Sciences humaines & sociales